« Une Pluie sans Fin » - Film chinois de Dong Yue – 116’
Dans une lande désolée près d’une usine, sous une pluie battante, des hommes s’affairent autour du cadavre dénudé, mutilé, d’une jeune femme : ce sont des policiers menés par un capitaine désabusé, Zhang, proche de la retraite. Nous sommes dans le sud de la Chine en 1997 à quelques mois de la rétrocession de Hong Kong au gouvernement chinois. Yu Guowei (Duan Yihong) veut se mêler de l’enquête : il est responsable du maintien de l’ordre dans le grand complexe industriel que l’on aperçoit en bordure du champ où la victime suppliciée git. Les enquêteurs qui connaissent Yu Guowei le repoussent malgré sa volubilité et son insistance. Ce n’est pas son affaire, mais celle des services compétents qui semblent dépassés par ces évènements.
En 1997 la Chine s’ouvre brusquement au capitalisme : des fortunes immenses se font en quelques temps et des millions d’ouvriers vénérés officiellement par le régime autoritaire de Pékin (République Socialiste !) sont jetés à la rue. C’est un bouleversement économique et social sans précédent à l’échelle de cet immense pays. Pour certains, Hong Kong devient un rêve inaccessible, pour la plupart le cauchemar est quotidien nourri par un chômage de masse.
Dans ce contexte historique, Yu Guowei se lance seul dans une traque du « Serial Killer ». C’est devenu son obsession, sa recherche fiévreuse du mal qui structure ses journées sous une pluie qui ne cesse de tomber. Va t il réussir a le détecter, puis a l’appréhender ?
Le scénario du réalisateur Dong Yue oscille entre deux pistes. L’une policière, la recherche du tueur en série, l’autre sociale, la description des désastres humains que provoque la fermeture de l’usine qui génère des emplois pour toute la population du village. La pluie incessante noie et mélange en quelque sorte les deux strates du récit cinématographique.
C’est le premier long métrage de Dong Yue (42 ans) qui a travaillé comme chef opérateur dans de nombreux films chinois. Cela se remarque tant la photo de son premier opus est « travaillée ». Nous n’avons jamais visionné des images aussi sombres aux couleurs froides, ternes, depuis fort longtemps. L’on pense évidement à deux films qui ont manifestement servi de modèles à Dong Yue qui ne s’en cache pas : Seven de David Fincher (1995 - américain) et Mémories of Murder de Bong Joon-ho (2004 - coréen).
Autant la mise en image est impressionnante par la maîtrise de la noirceur des lieux et des personnages comme égarés dans un monde incertain, autant le scénario d’une structure un peu bancale (flash back hésitant) flotte en son milieu. Il n’empêche que Dong Yue n’a pas été « écrasé » par la difficulté du tournage sous une pluie incessante naturelle ou artificielle. Il démontre une grande constance visuelle et la persistance d’un « point de vue » rare et courageux. Les sous-textes du film sont à cet égard, on ne peut plus explicites.
Le film a eu le Grand Prix 2018 du film policier de Beaune.
Jean-Louis Requena