L’Homme aux mille visages, film espagnol de Alberto Rodriguez – 122’
En 1993, en Espagne, jeune démocratie dominée politiquement par le Parti Socialiste de Felipe GONZALEZ, éclate une importante affaire de corruption : Le patron de la Guardia Civil, la puissante gendarmerie espagnole, Luis ROLDAN, est convoqué par une juge en vue de son inculpation. Il aurait détourné à son profit des fonds publics, des millions de pesetas ! L’homme disparaît durant dix mois pour resurgir en février 1995, entre deux policiers, à l’aéroport de Bangkok où il se rend aux représentants du gouvernement espagnol venus l’appréhender. Sa disparition et son arrestation jettent un trouble persistant dans le système démocratique espagnol. Que s’est-il passé réellement ? Les manipulations de l’opinion publique, les mensonges répétés à l’envie par le ministre de l’intérieur, Juan Alberto BELLOCH, s’accumulent. Le scandale éclate !
Derrière tout cela il y a un homme, ex-agent secret espagnol, Francisco PAESA « Paco » (Eduardo FERNANDEZ, glaçant) qui orchestre magistralement cette embrouille gigantesque avec peu de comparses dont Jésus CAMOES « le Pilote » (José CORONADO), dans le but ultime de « rouler » tout son monde et de récupérer l’argent dissimulé dans des paradis fiscaux (ici, Singapour).
A priori, rien n’est moins cinématographique que de narrer sans scènes d’action, sans explosions et coups de revolver, une arnaque de haut vol ou le protagoniste principal est un personnage cauteleux et fuyant toute exposition : il glisse d’appartements luxueux ou sordides en aéroport, en hôtels, en bars. Quelques brèves conversations téléphoniques suffisent à alimenter l’implacable mécanisme. « Paco », un maître du mystère, de l’embrouille, taiseux, mais efficace.
Le jeune cinéaste Alberto RODRIGUEZ (45 ans) nous avait séduits en 2015 avec son passionnant policier campagnard andalou sur l’embouchure du Guadalquivir : La Isla minima. Il récidive avec ce film ambitieux, urbain, qui a obtenu deux « Goya » (les Césars espagnols) ou il affiche sa maîtrise d’un récit tortueux qui exige une attention soutenue du spectateur. Par sa complexité et son parti pris de « fragmentation », ce dernier long métrage nous rappelle celui de Francesco ROSI L’Affaire Mattei (Palme d’Or au Festival de Cannes 1972).
A nouveau, le cinéma ibérique - en dépit de sa faiblesse économique (peu de salles obscures, peu de spectateurs) - démontre sa vitalité créatrice, en particulier scénaristique, que parfois nous, Français, lui envions.
Jean-Louis REQUENA