Entre « deux fêtes majeures du calendrier » notre ami Yves Ugalde confesse dans une de ses récentes chroniques qu’il a été « saisi d'un pic de fièvre inclusive qui l’a fait « marcher sur la tête, et sans retenue » :
« Cher.e.s Ami.e.s,
Vous me pardonnerez d'abord de manquer de la gravité minimale que je vous dois dans cette première formule d'affection, mais je n'ai pas su où mettre l'accent grave de "chère", étant donné que j'ai commencé par "cher" qui n'en porte pas. A moins que je n'aie commis une affreuse erreur machiste en débutant par "cher". Mais j'aurais été aussi ennuyé, par la présence de l'accent grave cette fois, si j'avais commencé par "chère". A l'entame de cette missive toute simple, j'en ai déjà la chair de cette chère poule. Et pardon aux végans, par parenthèse, qui pourraient sur le champ me voler dans les plumes pour cette affreuse métaphore animalière susceptible de conduire quelques esprits faibles vers l'étal du volailler pour le réveillon qui approche. Et puis cette sale manie que nous avons d'humilier l'animal, désormais citoyen et apte à ester en justice, en faisant de la poule une peureuse et du coq un fiérot... Mais j'aborde là un autre terrain démentiel que je garde par-devers moi pour 2018 où nous allons en entendre de vertes et pas mûres. A l'instar de ce procès dans l'Est de la France, intenté par la propriétaire d'une chienne qui accuse le chien du voisin de harcèlement sexuel sur sa titine. Et je n'invente rien.
Je tiens à remercier, les un.e.s, pour leur fidélité à me lire, cette année encore. Je remercie aussi "les autres". Mais eux (elles), c'est à priori secondaire, car leur genre est moins défini. A moins qu'un jour "les autres" ne refusent cet amalgame et ne réclament aussi un respect plus net de leurs identités sexuelles. C'est vrai qu'un jour, "les autres", ça peut faire aussi mauvais genre... Mais nous n'en sommes pas encore là et il faut laisser une part de ce délire balbutiant à nos successeurs.
Vous êtes nombreux.ses à me témoigner votre attachement à ce rendez-vous quotidien où je peux blesser bien involontairement certains.es d'entre vous. Je veux ici demander pardon à cette femme dont, un jour, j'ai malencontreusement, et sans y penser à mal (mâle), évoqué le parcours professionnel d'homme grenouille. Comme je dois des excuses plates à cet homme sage-femme que j'ai aussi dû humilier dans mes facilités de langage atrocement influencées par 2000 ans de culture judéo-chrétienne. Et encore, j'ai enterré le projet d'un texte sur une mineure de 34 ans!
Dans un souci de ne plus cautionner la règle discriminatoire du masculin devant l'emporter sur le féminin, je m'engage à mettre le plus d'e possible à la fin des mots. Même lorsque ça me coûtera un peu, par ringardise crasse sans doute, de parler d'une femme "cafetière", surtout si je dois hélas expliquer qu'elle coule. Je mettrai en échec tous.tes ceux et celles qui ne joueront qu'aux dames ou, sans en faire tout de même un fromage, abuseront des croque-monsieur.
Dans mes textes, toute grenouille de bénitier se devra d'être suivie d'un crapaud, qui, aux douze coups de minuit, aura quand même la liberté de se transformer en prince charmant ou en chevalier d'Eon, pour ne choquer aucun tenant de la théorie des genres. qui a ses procureur.es.
Une pensée enfin pour tous les enfants qui ont senti le souffle du boulet (parce que c'en est un!) de l'écriture inclusive passer au-dessus de leurs têtes déjà bien encombrées de règles grammaticales et orthographiques.
Allez, les ami.e.s, je vous laisse, en espérant que vous ne m'aurez pas trop pris au pied de ma lettre et qu'aucune d'entre vous ne me dira aujourd'hui :"Tu ne m'y as pas incluse Yves !"...
Un texte précurseur de Jean-François Revel
L’excellente lettre hebdomadaire des « Amis du Lac » (Hossegor) rédigée de main de maître par l’ami Eric Gildard aborde également ce thème d’actualité en publiant un texte de l'écrivain-journaliste Jean-François Revel (1924-2006), de l'Académie française, avec ce commentaire : Byzance tomba aux mains des Turcs tout en discutant du sexe des anges. Le français achèvera de se décomposer dans l’illettrisme pendant que nous discuterons du sexe des mots : « La querelle actuelle découle de ce fait très simple qu’il n’existe pas en français de genre neutre comme en possèdent le grec, le latin et l’allemand. D’où ce résultat que, chez nous, quantité de noms, de fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n’a rien à voir avec le sexe de la personne qu’ils concernent, laquelle peut être un homme. Homme, d’ailleurs, s’emploie tantôt en valeur neutre, quand il signifie l’espèce humaine, tantôt en valeur masculine quand il désigne le mâle. Confondre les deux relève d’une incompétence qui condamne à l’embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de sexe masculin peut fort bien être une recrue, une vedette, une canaille, une fripouille ou une andouille. De sexe féminin, il lui arrive d’être un mannequin, un tyran ou un génie. Le respect de la personne humaine est-il réservé aux femmes, et celui des droits de l’homme aux hommes ? Absurde ! Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels. Certains mots sont précédés d’articles féminins ou masculins sans que ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre. On dit : « Madame de Sévigné est un grand écrivain » et « Rémy de Goumont est une plume brillante ». On dit le garde des Sceaux, même quand c’est une femme, et la sentinelle, qui est presque toujours un homme. Tous ces termes sont, je le répète, sémantiquement neutres. Accoler à un substantif un article d’un genre opposé au sien ne le fait pas changer de sexe. Ce n’est qu’une banale faute d’accord. Certains substantifs se féminisent tout naturellement : une pianiste, avocate, chanteuse, directrice, actrice, papesse, doctoresse. Mais une dame ministresse, proviseuse, médecine, gardienne des Sceaux, officière ou commandeuse de la Légion d’Honneur contrevient soit à la clarté, soit à l’esthétique, sans que remarquer cet inconvénient puisse être imputé à l’antiféminisme. Un ambassadeur est un ambassadeur, même quand c’est une femme. Il est aussi une excellence, même quand c’est un homme. L’usage est le maître suprême. Une langue bouge de par le mariage de la logique et du tâtonnement, qu’accompagne en sourdine une mélodie originale. Le tout est fruit de la lenteur des siècles, non de l’opportunisme des politiques. L’Etat n’a aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la grammaire. Il tombe en outre dans l’abus de pouvoir quand il utilise l’école publique pour imposer ses oukases langagiers à toute une jeunesse. J’ai entendu objecter : « Vaugelas, au XVIIe siècle, n’a-t-il pas édicté des normes dans ses remarques sur la langue française ? ». Certes. Mais Vaugelas n’était pas ministre. Ce n’était qu’un auteur, dont chacun était libre de suivre ou non les avis. Il n’avait pas les moyens d’imposer ses lubies aux enfants. Il n’était pas Richelieu, lequel n’a jamais tranché personnellement de questions de langues. Si notre gouvernement veut servir le français, il ferait mieux de veiller d’abord à ce qu’on l’enseigne en classe, ensuite à ce que l’audiovisuel public, placé sous sa coupe, n’accumule pas à longueur de soirées les faux sens, solécismes, impropriétés, barbarismes et cuirs qui, pénétrant dans le crâne des gosses, achèvent de rendre impossible la tâche des enseignants. La société française a progressé vers l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette honte croient s’amnistier (ils en ont l’habitude) en torturant la grammaire. Ils ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique : « faire avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes ».