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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 612 mots

La critique de Jean-Louis Requena

Foxtrot - Film franco-israélien de Samuel Maoz – 113’

Des soldats longent un couloir et frappent à une porte. Une femme ouvre l’huis et s’évanouit à la vue des trois militaires : deux hommes et une jeune femme en uniforme de l’armée israélienne. Ils sont venus annoncer la mort de leur fils Yonatan « tombé au champ d’honneur ». L’appartement est spacieux, confortable, fort bien agencé, à la décoration spartiate. Le père de Yonatan, Michael (Lior Ashkenazi) se tient à l’écart dans la grande pièce qui sert de séjour. Les militaires de Tsahal s’affairent autour de la mère, Dafna (Sarah Adler), lui administrent un calmant et précisent à Michael le protocole mis en place pour les obsèques de son fils. Tout paraît un peu dérisoire, irréel, superfétatoire, dans la mécanique compassionnelle mise en place par les autorités militaires de Tsahal : à titre posthume, Yonatan va même « monter » au grade d’officier, c’est le règlement !

Ainsi commence cet étonnant film israélien, découpé comme une tragédie en trois parties. La première décrit l’impact sur sa famille de l’annonce de la mort au combat de Yonatan dans un obscur check-point du désert. La seconde s’attarde sur le check-point au milieu de nulle part qui barre une petite route au trafic quasiment nul. La troisième est un retour dans l’appartement des parents, Michael, Dafna, et de leur fille Alma.

Le premier acte est réaliste, angoissant. Le second est tout à la fois onirique et d’un humour noir, avec de brefs flashs surréalistes. Le dernier « condense » les deux qui l’ont précédé. Samuel Maoz réalisateur, mais également scénariste de son deuxième long métrage, use d’un procédé classique, mais ici magnifié par les « partis pris » d’une mise en images particulièrement soignée. A la description d’un couple de grand bourgeois bien installé, il oppose un baraquement de fortune qui sert de refuge à la petite escouade de quatre militaires qui « jouent » les gardes-frontières. Aux cadrages précis, réalistes du premier acte, succèdent les images irréalistes, incongrues, du deuxième acte : ainsi Yonatan dansant un Fox-trot avec son arme devant la barrière amovible et inutile du check-point. Pour le dernier acte dans l’appartement, la caméra devient mobile et scrute les personnages au plus près.

Ainsi, l’écriture cinématographique de Samuel Maoz évolue-t-elle tout au long de cette tragédie. Le résultat est émotionnellement surprenant, car nous adhérons aux tourments, aux angoisses, à la « délivrance » de ce couple aimant, bien installé dans la vie matérielle, à qui l’on annonce une épouvantable nouvelle : la disparition soudaine ( ?) d’un être cher.

C’est le deuxième film de ce réalisateur israélien. Le précédent, « Lebanon » (Lion d’or à la Mostra de Venise en 2009), nous narrait la vie de soldats dans un char pendant la guerre du Liban de 1982. L’histoire était autobiographique car Samuel Maoz a été tankiste durant cette guerre. Là aussi, le point de vue du metteur en scène était déterminant car tout le film se déroulait à l’intérieur du tank avec une vue partielle, étriquée, du monde extérieur forcément hostile. Nous vivions en claustrophobe une « sale guerre » dissymétrique.

Dans son dernier opus, Samuel Maoz se réapproprie sur un autre mode ses thèmes tels que l’absurdité, l’attente, le tragique teinté d’humour. Ainsi, le fox-trot que danse Yonatan au check point n’est autre qu’une suite simple de pas que l’on exécute pour revenir au même endroit.

« Fox-trot » a obtenu le Lion d’Argent à la Mostra de Venise en 2017. Nous formons le vœu que Samuel Maoz n’attende pas neuf ans pour nous proposer une nouvelle réalisation, compte tenu de son talent de metteur en scène et de scénariste.

 

 

 

 

 

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