Heureux comme Lazzaro - Film italien d’Alice Rohrwacher – 127’
Dans une nuit noire, un groupe de jeunes paysans vient faire une aubade sous les fenêtres d’une belle épanouie. Ils entrent dans la maison où ils sont accueillis avec effusion. Ils sont hilares, costauds. L’assistance amusée veut bien les restaurer mais il n’y a pas grand chose à manger : on partage quelques anchois. Une unique et maigre ampoule électrique éclaire la scène. Les amoureux sont joyeux et promettent de se marier prochainement. Dans un coin mal éclairé, Lazzaro (Adriano Tardiolo) regarde ce petit monde paysan qui s’agite, s’amuse, s’esclaffe malgré leur dénuement. Cette communauté est confinée dans le hameau « L’Inviolata », ferme à tabac, exploitée durement par une marquise dénommée Alfonsina de Luna qui habite, non loin de là, un château délabré.
Lazzaro, jeune homme doux, docile, rêveur, un peu simple, corvéable à merci, est le souffre-douleur de la petite communauté paysanne. Il parle à la lune, aux loups, vit comme un sauvageon délaissé, et partage ses petits biens sans rechigner comme une sorte de saint laïc. Le fils rebelle de la Marquise Alfonsina de Luna, Tancredi (Luca Chikovani) fait une fugue et vient se cacher auprès de lui. Une amitié curieuse, dominant (Tancredi), dominé (Lazarro) s’ébauche entre ces deux garçons du même âge jusqu'à l’accident : Lazzaro tombe du haut d’une falaise…
Lazzaro est-il mort définitivement ? Le Lazare du Nouveau Testament ne revient-il pas d’entre les morts à la rencontre des vivants ?
Le troisième long métrage d’Alice Rohrwacher (39 ans) également scénariste, a une structure narrative peu banale : celle de deux films en un. C’est un peu déconcertant car peu usité dans le récit cinématographique généralement linéaire et chronologique (sans ou avec flash-back). Ici, rien de cela : Alice Rohrwacher prend le pari osé de faire à la fois un saut dans le temps et dans l’espace avec un personnage inchangé dans son physique et son comportement : Lazzaro demeure, quel que soit son environnement de la ferme à la ville, un Candide bienheureux.
Le propos de la réalisatrice scénariste est nourri, enrichi, par une longue tradition du cinéma italien qui a décrit à merveille les perdants, les oubliés, les humiliés de la société. Les exemples abondent : « Padre Padrone » de Paolo et Vittorio Taviani (1977), « L’Arbre aux sabots » d’Ermanno Olmi (1978) pour le monde paysan, tous deux Palmes d’Or au Festival de Cannes, sans oublier « Affreux, Sales et Méchants » d’Ettore Scola (1976) pour les séquences citadines.
Le film a été tourné avec peu de moyens (caméra Super 16 – Format 1.37 :1). De fait, les images sont granuleuses, un peu sombres, ce qui ne gêne en rien le dessein de la réalisatrice. C’est un film au scénario original, un peu anachronique, mais trop long (2 heures sept) dont le montage aurait pu être plus resserré.
Nonobstant ces réserves, ce conte philosophique et moral construit autour de la personnalité d’un Candide, d’un bienheureux, reste attachant.
« Heureux comme Lazzaro » a eu le Prix du scénario au dernier Festival de Cannes.