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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 653 mots

La critique de Jean-Louis Requena

« Doubles vies » - Film français d’Olivier Assayas – 107’

Par le passé, l’écrivain Léonard (Vincent Macaigne) avait obtenu quelques succès littéraires. Il vient s’enquérir du sort de son dernier manuscrit auprès de son éditeur habituel et ami, Alain (Guillaume Canet). Un long entretien, amical, cordial, se déroule entre ces deux hommes, d’abord dans le bureau d’Alain, puis dans un restaurant « branché » du quartier Latin à Paris, arrondissement de la capitale où sont rassemblées les grandes maisons d’éditions : Gallimard, Grasset, Seuil, Stock, etc. Alain refuse avec urbanité, le dernier opus de son ami : le roman autofictionnel est passé de mode. On y reconnaît facilement les « peoples »… Ce n’est plus amusant, ni distrayant… Les lecteurs exigent autre chose. Or, les temps sont difficiles : la maison d’édition d’Alain est en cours de rachat par un magnat qui a fait fortune dans le minitel… Le danger informatique rôde… Est-ce la fin du livre papier ?

Léonard se plaint auprès de sa compagne, Valérie (Nora Hamzawi), attachée parlementaire d’un député, David, qui semble perdu dès que celle-ci n’est pas avec lui. Il l’appelle sans cesse… Le couple temporaire (?) que forment Léonard et Valérie, mal assorti, traverse des turbulences.

Alain est marié depuis vingt ans avec Selena (Juliette Binoche), actrice cinquantenaire, qui joue une commissaire de police dans une série policière pour la télévision (« Collusion »). Elle se désole de ce rôle « musclé » très éloigné de ses goûts artistiques. Cependant, elle a acquis, grâce à cette série audiovisuelle, une popularité qu’elle n’avait jamais eue auparavant.

Les rencontres, les repas d’amis, s’enchaînent où l’on disserte sur les professions de chacun, sur l’avenir du livre, sur l’irruption de l’informatique dans cet univers (e-book, lecture sur écran, droit d’auteur, etc.).

L’invasion du numérique et sa conséquence, la dématérialisation, vont-ils achever le livre papier dont les ventes ne cessent de décroitre ? Le lectorat habituel ne va-t-il pas basculer dans le tout numérique ? La question est angoissante pour ces entreprises culturelles que sont les maisons d’éditions traditionnelles. D’ailleurs, Alain a engagé une spécialiste en marketing informatique, Laure (Christa Théret), pour traiter cet angoissant problème. Elle est jeune et jolie…

« Doubles Vies » est la première comédie d’Olivier Assayas (63 ans) qui signe ainsi son dix-septième long métrage : un vaudeville ou les personnages archétypaux se connaissent, se reconnaissent, s’apprécient, comme étant du même monde. C’est un marivaudage un peu cruel, dans un univers très parisien, plus précisément germanopratin : de grandes, de généreuses idées dans de beaux appartements. Elle peut être agaçante, la description de ce microcosme qui ne comprend que des gens urbains, cultivés, bien élevés, sans fin de mois difficile, même pour Léonard, écrivain fauché mais aidé par Valérie, sa pragmatique compagne. Olivier Assayas, réalisateur, également scénariste, écrivain (cinq livres publiés à ce jour), nous propose une mise en scène élégante, rapide dans le « style français » où les échanges verbaux sont étincelants. Il s’efforce de rester sur la crête de l’effet rapide, léger, impertinent, dans la tradition du « Salon Littéraire » d’autres temps ou la langue vernaculaire était au-dessus de tout.

Son dernier long métrage est comme une bulle de savon à la fois fragile, mouvante, au gré des courants d’air, mais en définitive tenace. C’est une variation ludique sur l’érosion inéluctable, l’évolution nécessaire, la chute programmée. Il est nourri par l’autodérision des personnages et, au final, c’est une satire de notre société de l’appartenance, de l’apparence.

Ce milieu restreint, intellectuel, peut agacer, mais il est amusant, vu par l’objectif de la caméra d’Olivier Assayas, un entomologiste. On sourit, rit quelques fois aux saillies des personnages pétris d’esprit vachard.

En cet hiver morose, triste, il n’est pas désagréable de mettre un peu de gaîté par le visionnage de ce film « savoureux » interprété, avec bonheur, par d’excellents comédiens.

« Doubles vies » a été présenté en sélection officielle à la dernière Mostra de Venise.

 

 

« Doubles vies » d’Olivier Assayas

 

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