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Cinéma
All We Imagine as Light (115’) - Film franco/indo/italo/luxembourgo/néerlandais de Payal Kapadia
All We Imagine as Light (115’) - Film franco/indo/italo/luxembourgo/néerlandais de Payal Kapadia

| Jean-Louis Requena 749 mots

All We Imagine as Light (115’) - Film franco/indo/italo/luxembourgo/néerlandais de Payal Kapadia

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"All We Imagine as Light" de Payal Kapadia ©
All We Imagine as Light de Payal Kapadia.jpg
Payal Kapadia, lauréate du Festival de Cannes pour All We Imagine as Light.jpg
Payal Kapadia, lauréate du Festival de Cannes pour All "We Imagine as Light" ©
Payal Kapadia, lauréate du Festival de Cannes pour All We Imagine as Light.jpg

Mumbai (ex-Bombay), est sise dans l’Etat indien du Maharashtra. Cette mégalopole de 20 millions d’habitants, située sur la côte occidentale du sous-continent, est la capitale commerciale de l’Inde (New Delhi en étant la capitale administrative). Par sa dynamique économique, elle attire des millions de travailleurs natifs de son arrière-pays où des états voisins. C’est une « ville monde », industrieuse, à l’agitation permanente, aux bruits incessants, parcourue par des foules immenses.

Dans un hôpital du centre, promis à la démolition, convoité par des promoteurs peu scrupuleux, trois femmes sont employées : Prabha (Kani Kusruti) la quarantaine, infirmière attentionnée et taiseuse ; Anu (Divya Prabha) une jeune infirmière frivole et volubile ; Parvaty (Chhaya Kadam) une cuisinière, la cinquantaine, veuve, angoissée par ses problèmes personnels : on veut l’expulser de son logement misérable qu’elle occupe depuis des lustres. 
Prabha, bonne camarade, tente de l’aider par l’intermédiaire d’un avocat, mais l’affaire s’annonce perdue car Parvaty n’a aucun document justifiant l’occupation de son appartement destiné à disparaitre. Parvaty, bien que démunie, sans ressources nécessaires, reste combative.

Prabha et Anu, sont colocataires d’un minuscule logement quasi insalubre. La mousson et sa pluie battante, font claquer les fenêtres, inondent le taudis. De surcroît, les bruits incessants de la rue les incommodent, mais ces deux femmes différentes en âge et en mentalité, s’en accommodent tant bien que mal. 
Pragha s’obstine, en vain, à tenter de joindre son mari parti travailler en Allemagne : elle vit la situation avec douleur car elle n’a aucune réponse à ses appels. 
Anu, vit une idylle avec Shiaz (Hridhu Haroon) un musulman, ce qui est totalement proscrit dans sa religion (hindouisme).

Prabha, Anu, et Parvaty, trois femmes en lutte face à la société patriarcale indienne, ou l’origine sociale, la caste, la religion, la langue (l’hindi langue officielle ou le Marathi, une langue régionale du Maharashtra) font obstacle à tout épanouissement.

Sous la pression permanente de cette société rétrograde à leur égard, elles décident de résister ensemble …

All We Imagine as Light est le premier long métrage de fiction de la jeune réalisatrice indienne Payal Kapadia (38 ans). Son univers cinématographique était, jusqu'à son dernier opus, dans la veine du documentaire (courts métrages). Cependant, en 2021, au Festival de Cannes, elle a été récompensée par L’Œil d’or pour son premier long métrage documentaire : Toute une nuit sans savoir
Encouragée par ce prix qui l’a fait connaître, elle a, avec persévérance, monté le financement de son second film : un récit fictionnel. Mumbai (ex-Bombay) abrite pourtant l’une des plus grandes industries cinématographiques du monde (la plus grande du cinéma indien). 
Cette dernière est couramment dénommée « Bollywood », contraction de Bombay et Hollywood. Dans cette industrie, les films d’Art et essai ne bénéficient pas de financement et, le cas échéant, ne sont pas distribués dans cet immense pays à la potentialité énorme (plus d’un milliard de spectateurs par an !). Ces faits explicitent le montage financier baroque du film (cinq coproducteurs principaux !)

Dans All We Imagine as Light deux récits cohabitent : le non fictionnel (documentaire) et le fictionnel. Le premier tourné en juin dans les rues, les marchés, les manifestations de Mumbai pendant la période de la mousson avec une petite caméra numérique (Canon EOS C70 pour les connaisseurs), tenue par Ranabir Das, son compagnon ! 
Le second en caméra classique (image mieux éclairée) s’opposant à celles, ombreuses, de la première. Le montage astucieux des deux parties lesquelles s’interpénètrent, donne à l’ensemble une profonde vérité : il ne fait pas bon d’être une femme en Inde. La caste, la religion, ont une influence profonde sur le choix de la personne avec qui vous allez passer votre vie, et les conséquences qui en découlent. Dans un interview Payal Kapadia affirme : « L’amour, en Inde, c’est une affaire extrêmement politique ».

La réalisatrice porte un « female gaze » (regard féminin) sur les trois personnages très différents, incarnés par un trio d’actrices confirmées : Kani Kusruti (Prabha), en femme éteinte par l’absence prolongée de son époux et les doutes qui l’assaillent ; Divya Prabha (Anu), en jeune femme amoureuse, rieuse, brisant un tabou majeur ; Chhaya Kadam (Parvaty) en veuve volubile et battante.

All We Imagine as Light est le premier long métrage indien récompensé au Festival de Cannes 2024 (Grand prix du jury) depuis 30 ans (1994 : Swaham de Shaji Karun), alors que l’Inde est le plus important producteur de longs métrages (près de 2.000 films par an !). Son visionnage est donc indispensable pour approcher dans sa complexité (religions, mœurs, langues, etc.) cette étrange « démocratie » qu’est l’Inde contemporaine (1,4 milliards d’habitants !) où nombres de femmes ont un statut inférieur.

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