« La Mule » - Film américain de Clint Eastwood – 116’
Etat de l’Illinois 2005. Earl Stone (Clint Eastwood) vétéran de la Guerre de Corée (1950/1953), est un horticulteur heureux, admiré, comblé par son métier. Dix ans plus tard, Internet et la mondialisation l’ont ruiné. Il ferme son entreprise, licencie son personnel…Il est couvert de dettes… Sa famille proche, dont il s’est peu préoccupé, accaparé par son métier, le rejette sauf sa petite fille Ginny (Taissa Farmiga). Un des convives qui assiste au mariage de Ginny, lui propose un petit boulot après l’avoir entendu se flatter d’avoir sillonné le pays sans une seule amende : il s’agit d’acheminer depuis la frontière mexicaine un colis jusqu'à Chicago : c’est très simple, bien payé avec de bons et gros dollars.
Earl innocent, candide, aux abois, accepte cette longue course fort bien rémunérée…
Après cette première course facile, il se prête au jeu et multiplie les déplacements dans un nouveau pick-up noir. Curieux, il comprend vite qu’il transporte de la drogue pour un cartel mexicain de Sinaloa. L’argent qu’il reçoit dans des enveloppes de plus en plus épaisses, lui permet des libéralités autour de lui… Il est heureux de cette manne inespérée et tente de renouer avec son ex-femme Mary (Dianne Wiest), sa fille Iris (Alison Eastwood), sans grand succès.
Quoique âgé (80 ans !), Earl est rigoureux, avec toutefois quelques fantaisies dans son travail de convoyeur. Aussi, est-il admiré par le chef du cartel, Laton (Andy Garcia), qui l’invite dans son hacienda… Une nouvelle vie semble se dessiner pour ce vieillard à l’allure débonnaire !
Mais les agents de la DEA (Drug Enforcement Administration) qui traquent les trafiquants de drogue veillent. En particulier Colin Bates (Bradley Cooper), fin limier…
On ne présente pas Clint Eastwood (88 ans !), acteur dans 80 films et réalisateur de 37 long métrages. C’est un monument du cinéma mondial qui, a un âge avancé, poursuit une carrière de réalisateur prolixe : « American Sniper » (2014), « Sully » (2016), « 15h17 pour Paris » (2017). Pour ses trois derniers films, comme pour la « Mule », il s’inspire de faits réels qui dessinent une sorte de contour de l’idéal américain : une légende militaire, un pilote chevronné, de jeunes militaires courageux. Dans son dernier opus, il s’octroie le rôle d’un vieillard qui veut réparer, maladroitement, ses erreurs passées : faire du bien avec de l’argent sale…
Clint Eastwood se met en scène sans fioriture, ne se ménage pas à l’écran. Il fait son âge : sa grande carcasse (1,95 mètres) est voutée, il est maigre, se déplace à petits pas, sa voix est chevrotante… Malgré ses bobos, il garde son humour, sa soif de vivre. Il veut renouer les liens familiaux qu’il a brisés par égoïsme, intempérance… Ce n’est pas facile les cicatrices sont encore vives… On ne fabrique pas du bonheur après coup, c’est trop tard, la camarde est là qui rôde.
Clint Eastwood, aidé par son scénariste Nick Schenk (celui de son film le plus personnel avant celui-ci, Gran Torino - 2008), nous émeut : l’on ressent, même sans connaître sa vie privée pour le moins agitée (7 enfants, d’innombrables liaisons, des procès retentissants, etc.), les regrets, les repentirs, son besoin impérieux de les exorciser en les suggérant à travers le tamis d’une œuvre fictionnelle : Earl Stone, c’est lui dans toutes ses ambiguïtés !
Comme toujours chez Clint Eastwood, son écriture cinématographique est en apparence d’une extrême simplicité, celle des grand maîtres américains qu’il admire : John Ford (1894/1973), William A. Wellman (1896/1975), Howard Hawks (1896/1977). Le cadre soigneusement composé est simple, efficace : on raconte une histoire sans perte de temps. Chaque scène doit « pousser » celle qui suit. Pas de temps mort, juste quelques « respirations » humoristiques. C’est le grand cinéma classique américain, celui que nous admirons, aimons, car il va à l’essentiel et néglige le superflu qui ralentit cet art essentiellement cinétique. Nous montons dans un train qui file jusqu'à la prochaine gare sans traîner. Clint Eastwood est ce type de réalisateur : on tourne vite (une prise ou deux, maximum), un mois de tournage, on maintient la vitesse d’exposition, même si le film est long (1h56) et surtout, on parie sur l’intelligence du spectateur.
La simplicité apparente du discours filmique ne retranche rien à la complexité des rapports entre les différents personnages du récit. Faire simple, profond, avec pudeur, c’est le challenge que ce metteur en scène à l’instar de ses maîtres s’est toujours efforcé de nous montrer depuis ses débuts de réalisateur (« Un frisson dans la nuit » – 1971). Il a su affiner un cadre esthétique tout en travaillant sur des scénarios de genres divers : westerns, policiers, drames, guerre, etc.
A 88 ans (il est né en 1930), Clint Eastwood demeure le dernier des géants de ce cinéma droit, hiératique, sans fioritures inutiles, qui nous enchante et que nous ne verrons peut-être plus…
Fort heureusement restent d’innombrables DVD pour raviver nos souvenirs.