Une Intime Conviction - Film français d’Antoine Raimbault – 110’
L’affaire Suzanne Viguier est encore dans nos mémoires. Le 27 février 2000, Suzanne Viguier, épouse de Jacques Viguier, professeur de droit à l’université de Toulouse, disparaît. Une longue enquête policière, dirigée par le commissaire Robert Saby, n’aboutit à aucune conclusion : pas de corps, pas de mobile, pas d’aveux. Néanmoins, des rumeurs alimentées par « l’ami de la famille », Olivier Durandet, sont relayées par les médias locaux. « L’ami de la famille » Viguier se déclare également amant de Suzanne… Malgré le manque flagrant de preuves, tout semble désigner l’assassin : Jacques Viguier, son mari, avec lequel elle n’était pas en bons termes depuis des années… Après maintes péripéties policières, judiciaires, dont l’emprisonnement durant neuf mois de Jacques Viguier, un procès a lieu aux assises de Toulouse (Haute Garonne), fin avril 2009. L’accusé est acquitté ! Mais, nouveau rebondissement, le procureur général fait appel du verdict.
Un deuxième procès en appel débute à la cour d’assises d’Albi (Tarn) en mars 2010. Le film commence à ce moment dramatique, alors même que le premier procès est encore dans tous les esprits…
Nora (Marina Foïs), mère célibataire, est cuisinière dans une brasserie de Toulouse. Elle est intimement convaincue de l’innocence de l’accusé. Elle est prête à tout pour faire éclater la vérité, sa vérité. La défense a engagé un ténor du barreau, Eric Dupond-Moretti (Olivier Gourmet), qui a la lourde tâche de faire innocenter son client mutique, au caractère difficile, renfermé, sans empathie. Nora, exaltée, contacte l’avocat dès son arrivée pour se porter volontaire à quelques emplois, quels qu’ils soient… Bougon, il lui donne des dizaines de CD d’enregistrement à écouter, à classer en vue d’une exploitation juridique possible. C’est un travail titanesque que Nora accomplit avec conviction. Du coup, accaparée, elle néglige son travail et son enfant.
De surcroît, ses rapports avec Maître Eric Dupond-Moretti sont houleux, tendus, alors que le procès s’enclenche…
Le cinéma mondial abonde de films du genre procès. En général, ils sont toujours couplés avec un suspense : l’accusé est-il le vrai coupable ? Genre à rebondissements, longs échanges verbaux dans l’enceinte du tribunal, dénouement inattendu, etc. Ici, rien de tout cela. Le réalisateur Antoine Raimbault, également coscénariste, évite la structure narrative classique : il déconstruit la trame en développant des scènes hors tribunal et « accélère » les audiences de celui-ci qu’il « condense » à la fin. Il s’attache a décrire les à cotés des assises, véritables pièces dramatiques ou les acteurs (les avocats, les magistrats, les témoins, l’accusé, etc.) sont également auteurs : ils créent la pièce dans laquelle ils jouent en temps réel.
Dès son premier opus, Antoine Raimbault nous impose sa maîtrise confondante tant sur la structure du récit, haletant, que sur la mise en image efficace sans afféteries. Le personnage de Nora, magnifiquement interprété par Marina Foïs, seul personnage fictif de ce drame (géniale trouvaille !) par ses incessantes interventions, permet d’aérer, de « booster » la narration et d’éviter ainsi les scènes d’exposition qui freineraient le déroulement du récit.
Pas de ralentissement, pas de temps morts, le puzzle dramatique se reconstruit « presto ».
Les séquences sont brèves, peu bavardes, le découpage précis, jusqu'à la plaidoirie finale de l’avocat de la défense, Maître Eric Dupond-Moretti, surnommé « acquittator », moment ou le film ralentit son tempo.
Depuis un an (févier 2018), c’est le deuxième choc que nous ayons eu pour un premier film d’un jeune metteur en scène français. Le premier est celui de « Jusqu'à la Garde » de Xavier Legrand, dix nominations (!) à la prochaine Cérémonie des César (fin février 2019).
L’un et l’autre détournent avec une grande réussite des genres cinématographiques codifiés (procès, terreur) pour notre plus grand plaisir de spectateur. C’est un premier long métrage prometteur.