La flor - Film argentin de Mariano Llinas – 814’ (13h34’)
Argentine. Quelque part sur l’aire de repos d’une autoroute, un homme barbu, la quarantaine, suivi d’un chien, s’assoie et ouvre un carnet de croquis : c’est Mariano Llinas réalisateur et scénariste du film « monstre » La flor. Avec quelques crayons de couleurs et peu de mots, il dessine la structure narrative de son très long métrage (814 minutes !) : six épisodes repartis en quatre films (système d’exploitation retenu en Europe).
Le premier film (La flor 1 – 3h30’) raconte deux épisodes : une sorte de série B américaine autour d’une momie et de ses maléfices. Un mélodrame musical d’un couple de musiciens qui s’aime, se déchire au fur et à mesure de l’avancement de leur carrière conjointe.
Le deuxième film (La flor2 – 3h10’) est un film d’espionnage parodique, incongru, inabouti, qui se déroule sur plusieurs continents, en plusieurs langues (castillan, français, anglais, allemand, etc.), manipulé depuis Bruxelles (capitale mondiale de la bande dessinée) par un personnage maléfique « Casterman » (maison d’édition historique de Tintin).
Le troisième film (La flor 3 - 3h24’) est une mise en abîme du cinéma ou toutes les cartes sont rebattues.
Le quatrième film (La flor 4 – 3h28’) comprend deux épisodes : une longue reprise d’un moyen métrage français en noir et blanc de 1936 (Partie de Campagne de Jean Renoir – 40’) suivi d’une élégie sur les femmes captives au XIX ème siècle en Amérique du Sud.
L’ensemble ressemble à un inventaire à la Prévert ou l’humour surréaliste et l’érudition compulsive se conjuguent.
Pour résumer ce magnum opus, le réalisateur Mariano Llinas, un peu farceur, interrogé au dernier Festival du Film de Locarno (Suisse) s’est contenté de dire « Hay cuatro mujeres » (il y a quatre femmes). En effet, quatre comédiennes de théâtre (Compagnie Piel de Lava – Buenos Aires) sont présentes dans la quasi totalité des épisodes qu’elles irradient de leur présence. Citons les : Elisa Carricajo, Valéria Correa, Pilar Gamboa, Laura Paredes. Six épisodes/genres différents pour quatre comédiennes chevronnées qui endossent les personnages en totale liberté.
Cet énorme corpus dont la durée de tournage s’est étalée sur une dizaine d’années (selon les dires du metteur en scène) n’aurait coûté que 250.000 à 300.000 euros, budget ridicule au regard des normes européennes (budget Les Tuches 3 d’Olivier Baroux : 13 millions € !) sans évoquer celles de l’industrie cinématographique américaine. Et pourtant le résultat artistique est là, bluffant par moment, tant l’ingéniosité du réalisateur, de sa petite équipe technique qui l’entourait, ont su fabriquer un OVNI cinématographique de qualité, à la fois déroutant (mais pas tant que cela) et jubilatoire. C’est une espèce de train fantôme cinématographique, un kaléidoscope virtuose à bas coût. Les images du chef opérateur Agustin Mendilaharzu sont sans cesse innovantes synchrone avec les scènes traitées. (nombreux très gros plans et gros plans avec fonds flous, puis plans éloignés bien définis, noir et blanc somptueux, toile légère devant l’objectif pour tamiser la lumière, etc.). De même, chaque épisode a son propre traitement sonore des mots et chants qui s’entrechoquent, des voix off qui récitent des textes poétiques, pas de sons, des nappes musicales classiques ou populaires qui articulent les séquences, etc.).
Mariano Llinas a « horreur des explications ». Il refuse les conventions documentaires ou fictionnelle, et nous propose un univers visuel, sonore, complexe sur une durée inusitée (13h 34’ !) qui rappelle par instants, ce n’est pas un hasard, la grande littérature sud américaine (Jorge Luis Borges, Julio Cortázar, Bioy Casarès, etc…tous argentins) et le cinéma mondial (Fritz Lang, Roberto Rossellini, Alfred Hitchcock, Jean Renoir, Jean-Luc Godard, etc…tous européens). C’est un film gigogne à père unique et parrains multiples dont l’immense Miguel de Cervantès pour sa créativité romanesque : L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche n’est il pas un roman farfelu, échevelé, gigogne, en deux parties et fort long (1.200 pages !).
Le générique de fin de ce film fou est a l’image de ce projet hors norme : 35 minutes avec un gag renversant et des airs populaires lancinants.
Mariano Llinas n’a pas voulu fabriquer une telenovala (trop facile), une série poussiéreuse (trop vue) au scénario faussement étonnant, souvent prévisible. Il nous livre, par le truchement de films de genre codés (horreur, drame, espionnage, reprise de chef d’oeuvre, etc.), un ouvrage labyrinthique dont il nous indique quelques clés (chercher les autres !) mais transcendé par la permanence quasi constante de son quatuor d’actrices. Elles ouvrent et concluent son long cycle narratif au désordre ordonné.
On peut embrasser l’œuvre d’un coup, mais cela va être difficile (problème d’exploitation en salles), ou le déguster au grès de ses projections. Dans l’ordre c’est bien dans le désordre aussi. Nous pouvons tout nous permettre puisque tout est permis !