0
Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
© DR

| Jean-Louis Requena 593 mots

La critique de Jean-Louis Requena

« Les Oiseaux de passage » - Film colombien de Ciro Guerra et Cristina Gallego – 125’

1968, désert de La Guajira, péninsule du nord-est de la Colombie. Une jeune femme, Zaida (Natalia Reyes) à la fin d’un rituel cultuel (danse prénuptiale) de son ethnie, les Wayuu, entre dans le monde des adultes. Elle peut dès lors se marier, trouver un beau parti, car elle appartient au clan de la matriarche Ursula (Carmina Martinez), l’un des plus puissants de la contrée. Rapayet (José Acosta), simple chevrier Wayuu, sans le sou, la demande en mariage. Zaida n’est pas insensible à son amoureux. Mais ce dernier est éconduit par Ursula qui exige, pour qu’il convole, une dot importante (des chevaux, des chèvres, de l’argent, etc.) que Papayet est incapable d’honorer…

L’histoire pourrait s’arrêter là. Rapayet amer, désemparé, poursuit son travail ingrat, peu rémunérateur, avec son ami Moisés (Jhon Narvaez) qui n’est pas un Wayuu et dont la communauté se méfie. Moisés, en homme rusé, comprend que les « gringos hippies » du Peace Corp qui vivent dans la région sont à la recherche de « l’herbe sauvage » : la marijuana. Ensemble, ils organisent un petit trafic d’achat et de vente de marijuana avec la complicité d’un oncle de Rapayet, Anibal (Juan Bautista Martinez), important propriétaire de la région. Rapidement, le commerce prospère : une noria de camions, d’avions, convoie et expédie des tonnes de drogue vers les Etats Unis. L’argent « sale » ruisselle sur tous les participants à ce commerce lucratif. Devenu riche, Rapayet peut sans peine verser  la dot à Ursula et, enfin, épouser Zaida.

La soudaine richesse des Wayuu qui vivaient dans le dénuement, oubliés de tous, n’est pas sans conséquences…

Le troisième long métrage de Ciro Guerra (38 ans), ici associé à sa productrice et compagne Cristina Gallego, narre l’histoire véridique de la « bonanza marimba » de 1968 à 1980. C’est la naissance des premiers narcotrafiquants colombiens, membres du peuple amérindien marginalisé, les Wayuu, possédant leur propre langue, leur propres us et coutumes immémoriales. C’est cette communauté survivante, soudée, aux rites établis, imperméable à l’environnement sociétal du reste du pays, la Colombie, qui a mis en place les premières filières d’acheminement de la drogue vers les Etats-Unis. Le film est divisé en cinq actes, comme une tragédie classique à laquelle il s’apparente. Nous sommes ballottés entre le droit coutumier personnalisé par la figure forte d’Ursula, chef de clan (la société Wayuu est matriarcale), et la modernité éruptive générée par les flots d’argent : véhicules 4x4 rutilants, avions de transport, premiers téléphones cellulaires, armes létales de premier choix, etc.

Ciro Guerra « navigue » entre plusieurs genres cinématographiques : le policier, le western, l’action, le drame… Il se sert adroitement de leurs codes qu’il s’approprie et nous offre de surcroît des images de paysages contrastés, de désert aride et de brousse luxuriante. La violence inhérente à ce « genre mixte » n’est jamais montrée avec la complaisance habituelle, frontale : le réalisateur nous décrit les conséquences terribles, destructrices de parenté, d’organisations sociales fortes, de biens matériels superfétatoires. Toutes les structures sociales, culturelles, cultuelles sont démantelées par le flux financier incessant qui irrigue cette région.

Le quatrième film de Ciro Guerra après son remarquable « L’empreinte du serpent » (El abrazo del serpiente – 2015) a fait l’ouverture de la « Quinzaine des Réalisateurs » au dernier Festival de Cannes. Il a en outre obtenu le Prix du meilleur film au festival de Biarritz Amérique Latine 2018, gage de qualité !

En mai 2019, Ciro Guerra sera président de la prestigieuse « Semaine de la Critique » au Festival de Cannes. Aussi, avons nous la confirmation de l’éclosion d’un grand réalisateur colombien.

 

 

 

Répondre à () :

| | Connexion | Inscription