« Dieu existe, son nom est Petrunya », de Teona Strugar Mitevska (Macédoine du Nord) 100’
Petrunya (Zorica Nusheva) est une jeune femme de 32 ans qui vit chez ses parents à Stip, village de la République de Macédoine du Nord. Son allure est disgracieuse : trop grosse, mal habillée, sans charme, elle est sans cesse houspillée par sa mère qui lui reproche son indolence. Petrunya doit se rendre à un entretien d’embauche pour un poste de secrétaire. Le patron de l’usine de confection est une lointaine relation de sa mère. L’entretien se passe mal : le patron l’humilie a cause de son physique ingrat alors même qu’elle tente d’argumenter sur ses diplômes d’université. Abattue, Petrunya longe une rivière et s’arrête sous un pont. Nous sommes début janvier : c’est l’Épiphanie. Un pope (prêtre orthodoxe) (Suad Begovski) sur le tablier du pont harangue un groupe d’hommes dénudés, frigorifiés, groupés au bord de la rivière. Il va jeter une croix de bois dans celle-ci. L’homme qui s’en emparera aura, selon la coutume, une année de bien-être et de félicité.
Le prêtre lance l’objet rituel et les hommes déjà passablement exaspérés par l’interminable discours liturgique, plongent dans la rivière… Petrunya aussi ! Elle se saisit de la croix de bois avant tous les garçons. Ceux-ci, surexcités protestent : ce rituel multiséculaire est exclusivement réservé aux hommes… Un débat houleux s’engage, d’autant qu’un « macho balkan » réclame son du : c’est lui qui s’est emparé en premier de l’objet rituel et non pas cette femme à la triste figure. Les policiers interviennent… Petrunya est exfiltrée et conduite au poste de police.
C’est un scandale d’autant plus qu’elle s’obstine à ne pas rendre la croix de bois !
La tension monte à l’intérieur du commissariat de police : Petrunya a enfreint une coutume, pas une loi. Dehors, une petite équipe de télévision en provenance de Skopje (capitale de la Macédoine) intervient avec une journaliste farouchement féministe (Labina Miteska) et son cameraman dépressif qui veut retourner au plus vite dans la capitale…Les « machos balkans » s’agrègent, agressifs, devant les grilles du commissariat en insultant tout le monde : Petrunya impassible, les policiers débordés et indécis, le pope diplomate, la journaliste combative…
La situation est bloquée. L’état de siège du local semble sans issue…
Teona Strugar Mitevska (45 ans) est une cinéaste, scénariste, productrice macédonienne inconnue en France. C’est son cinquième opus qui a été projeté à la dernière Berlinale. Ses œuvres précédentes, non distribuées en France, ont reçu de nombreux prix dans des festivals internationaux. Aussi découvrons nous cet auteur jusqu’alors ignorée. C’est une révélation venant d’un « petit pays », la République de Macédoine du Nord (2 millions d’habitants), né de l’implosion de la Yougoslavie en 1991. La réalisatrice s’inspire d’une histoire vraie qui a eu lieu en Serbie. Autour d’un fait significatif : une intruse qui dérange un cérémonial « culturel », elle brode une série de portraits saisissants, ancrés dans la réalité économique, politique, culturelle macédonienne. Les personnages sont vrais et interagissent les uns par rapport aux autres sans que cela paraisse fabriqué. C’est la grande force de ce type de narration qui ne laisse pas de répit au spectateur : la structure du scénario, très écrit, vous emprisonne, vous maintient, captif consentant, à l’intérieur du récit, sans cesse rebondissant. Chaque personnage mené par sa propre logique interne, confronté aux autres, « alimente », enrichit, l’histoire. De nombreux longs métrages venus des « Pays de l’Est » notamment la Roumanie (« 4 mois, 3 semaines et 2 jours » de Christian Mungiu (2007), Palme d’Or à Cannes, « Sierranevada » de Christi Puiu (2016), « Baccalauréat » de Christian Mungiu (2016), etc. sont construit sur ce modèle scénaristique enveloppant.
Teona Strugar Mitevska est une cinéaste engagée qui possède un bon bagage cinématographique : elle est diplômée d’un Master of Film Arts de la Tish School of the Arts de l’Université de New-York. Elle est également productrice dans son pays (Sisters and Brother Mitsevski Production). C’est une femme déterminée qui veut maîtriser son art, le cinéma, à tous les degrés de sa fabrication : scénario, réalisation, production. Elle mérite, à l’évidence, au regard de son dernier opus, une meilleure distribution de ses longs métrages.
Nous ne pouvons pas oublier son actrice principale, Zorica Nusheva, venue du théâtre comique, qui nous offre une prestation étonnante, toute en nuance : d’abord apathique, puis volontaire, et enfin d’une sagesse distancée.