« Fête de famille » - Film français de Cédric Kahn – 101’
Quelque part dans le sud-ouest. Vincent (Cédric Kahn) arrive avec sa femme Marie (Laetitia Colombani) et ses deux enfants dans la grande demeure de ses parents. Une grande table est dressée dans le parc ombragé. On s’affaire en cuisine. C’est l’anniversaire d’Andréa (Catherine Deneuve), la mère de Vincent. La famille d’Andréa et de Jean (Alain Artur), son second mari, est complétée par son second fils Romain (Vincent Macaigne) et sa compagne sud-américaine Rosita (Isabel Ailé Gonzalez-Sola), sa petite fille Emma (Luàna Bajrami), accompagnée de son copain Julien (Joshua Rosinet). Tout ce monde entoure Andréa pour fêter son anniversaire.
Tout le monde ou presque… La fille aînée d’Andréa, Claire (Emmanuelle Bercot), née d’un premier lit, manque à l’appel. Elle a quitté les États-Unis depuis cinq mois et personne ne sait où elle demeure…
Un appel téléphonique retentit dans la maison, en pleine effervescence de préparation du grand repas familial sous les frondaisons : c’est Claire qui s’est égarée ! Vincent part la chercher… Elle surgit affriolante, exubérante, et s’installe à la table familiale… Volubile, elle s’agite, boit outre mesure. Soudain, elle demande sans ambages sa part d’héritage afin de monter une affaire compliquée au Portugal… Stupéfaction de l’assistance devant cette annonce !
Avec sa petite caméra, Romain filme la scène, pour des « archives » dit-il, ce qui semble pour le moins incongru au vu de son passé professionnel : il n’a jamais été réalisateur. La tension monte d’autant qu’Emma – abandonnée par sa mère Claire trois ans auparavant - vit mal le retour tonitruant de celle-ci…
L’apparente folie de Claire contamine l’ensemble de la famille en dépit du comportement apaisant, conciliateur, de la maîtresse de maison. L’irruption soudaine d’une Claire incontrôlable génère des tensions dans le groupe… et libère la parole ! Elle provoque un chaos familial qui monte en intensité.
Pour son onzième long métrage, Cédric Kahn, pour la première fois acteur dans sa propre œuvre, reprend le sujet rebattu de la famille en apparence unie qui se disloque lors de l’irruption d’un incident (modèle violent et absolu : « Festen », film danois de Thomas Vinterberg – 1998). Le réalisateur, également coscénariste, « ramasse » l’histoire dans une unité de temps (une journée) et une unité de lieu (la maison) tout en échappant, par la mobilité virtuose de la caméra (directeur de la photographie : Yves Cape) au théâtre filmé. Ainsi, la vie de cette famille en apparence normée, formatée, devient soudain dysfonctionnelle par l’irruption de Claire en trouble-fête.
Dans toute les familles (ou presque ?), « le Roman Familial » (Sigmund Freud !) est un long tissu de non-dits, de désaccords, de deuils, de jalousies et de problèmes pécuniaires non résolus qui surgissent au détour d’un regroupement familial au moment ou l’on s’y attend le moins : c’est ainsi ! La « folie » de Claire, son comportement erratique avec ses accélérations hystériques n’est qu’un révélateur d’histoires enfouies mais jamais oubliées.
Cédric Kahn (réalisateur) mêle à son récit fictionnel un pseudo documentaire (modèle Yasujiro Ozu !)que filme avec sa petite caméra sur trépied son frère Romain totalement incompétent. De son côté Emma prépare avec son copain Julien une courte pièce de théâtre : que va-t-elle représenter dans ce désordre familial ?
La direction d’acteur est épatante : tous sont à citer. Le tandem fictionnel Catherine Deneuve (Andréa) et Emmanuelle Bercot (Claire) fonctionne à merveille, en opposition caractérielle totale. Elles se connaissent fort bien car Emmanuelle Bercot a fait jouer Catherine Deneuve dans deux de ses films : « Elle s’en va », 2013, et « La Tête Haute », 2015.
La bande son musicale est astucieuse ce qui n’est pas courant dans notre cinéma hexagonal : Fréderic Chopin, Mouloudji (« L’amour, l’amour, l’amour »), et Françoise Hardy (« Mon amie la rose ») sont en quelque sorte, musicalement, les ponts qui relient les blocs émotionnels de cette famille en définitive banale.
En retenant un schéma scénaristique somme toute commun dans la production cinématographique (nationale, mondiale), Cédric Kahn nous en propose une version nouvelle qui nous ravit grâce à la vitalité de son récit et l’excellence de ses interprètes. Cette Fête de famille dont la durée est de 101 minutes se déroule sans pose, à un train d’enfer.