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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 636 mots

La critique de Jean-Louis Requena

« Les Proies » - Film américain de Sofia Coppola– 91’

Le sixième long métrage de Sofia Coppola, Les Proies, est la seconde adaptation du roman « The Beguiles » de Thomas P. Cullinan paru aux Etats Unis en 1966. En 1971, le réalisateur Don Siegel nous avait proposé une version âpre, sèche, avec en vedette Clint Eastwood  qui venait de clore la trilogie du dollars, « westerns spaghettis » de Sergio Leone (Pour une Poignée de Dollars – 1964, Pour quelques Dollars de Plus – 1965, Le Bon, la Brute et le Truand – 1966).

Dans cette première version, Clint Eastwood incarnait un personnage antipathique : le caporal nordiste John MacBurney qui blessé, est recueilli dans un pensionnat sudiste de jeunes filles dirigé par Martha Farnsworth secondée d’Edwina Morrow. Sofia Coppola, également scénariste de son film, a repris la même trame narrative : un homme attirant mais diminué physiquement, enfermé dans une splendide demeure, est soigné au milieu d‘un aréopage de femmes parfaitement éduquées. Elles apprennent même le français !

Toutefois, sa version propose un glissement narratif à l’encontre du « machisme » de Don Siegel : le petit groupe féminin (sept femmes, de l’âge dit mûr à l’adolescence, impeccablement habillées, policées, cultivées), est fasciné par ce caporal nordiste, d’origine irlandaise, engagé volontaire, mal dégrossi. Le pensionnat, demeure virginienne tapie dans une nature luxuriante, semble échapper aux évènements violents qui se déroulent à proximité. Au loin, une canonnade gronde. Nous sommes en 1864. Depuis la bataille décisive de Gettysburg (Pennsylvanie – juillet 1863), les armées confédérées du Sud ont perdu l’initiative de l’affrontement Nord/Sud. La Guerre de Sécession ne s’achèvera qu’en mai 1865 mais son issue est déjà certaine : les armées unionistes ont gagné !

C’est dans ce contexte historique d’une société qui se meurt : les Etats du Sud avec leur économie particulière (grandes propriétés terriennes et système esclavagiste), raidis dans leurs valeurs, décalque de la civilisation européenne, en particulier anglaise, brillent des derniers feux avant leur effondrement. A l’encontre du film de Don Siegel, Sofia Coppola propose une autre lecture que nous pourrions qualifier, faute de mieux, de féministe. Le quatuor « amoureux » formé par la directrice Martha (Nicole Kidman), son adjointe Edwina (Kirsten Dunst), une pensionnaire Alicia (Elle Fanning), et le caporal nordiste (Colin Farrell), évoque les  interrogations, les hésitations, le trouble érotique et non le machisme conquérant d’un Clint Eastwood. Tout est dans la nuance, par glissement progressif. La réalisatrice Sofia Coppola qui, sous son apparence frêle, a toujours fait montre de détermination dans ses options stylistiques, va jusqu'à escamoter des scènes « à faire » pour garder la fluidité du récit et sa beauté formelle.

En effet le film, tourné en format 1.66 :1 (format « tableau », le préféré de Stanley Kubrick : Barry LYNDON – 1975) est en argentique (pellicule) et non en numérique. L’image magnifique est due au chef opérateur français Philippe Le Sourd. Dans les scènes d’intérieur, les robes à crinolines semblent glisser sur des fonds sombres faiblement éclairés à la bougie. En extérieur les plans cadrés avec soin, sont comme nés des forêts imaginaires du peintre Gustave DORE. Nous y percevons un travail magnifique de recherches iconographiques afin d’enrichir le propos du film.

Avec son dernier long métrage, Sofia COPPOLA - souvent critiquée lors de ses précédents films (Somewhere, 2010, The Bling Ring, 2013) pour la « légèreté » de ses scénarios - démontre ici que le cinéma est l’art de raconter une histoire avec des images. Le son (paroles, musiques, bruits ambiants) ne vient qu’en second.

De nos jours, nous regardons les films plus avec nos oreilles (bandes-son tonitruantes des blockbusters !) qu’avec nos yeux ! Sofia Coppola, en digne héritière de son père Francis Ford Coppola, renoue avec la tradition : la belle image avec un son approprié ! Le Prix de la mise en scène a couronné le film lors du Festival de Cannes 2017.

Jean-Louis Requena

 

 

 

 

 

 

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