« A Beautiful Day » - Film franco-britannique de Lynne Ramsay – 85’
Après avoir rangé consciencieusement des objets appartenant, selon toute probabilité, à une jeune fille, un homme massif, barbu, aux longs cheveux retenus par un catogan, sort d’un hôtel miteux. Soudain, surgit d’une encoignure une silhouette qui l’agresse. Il réagit immédiatement et se débarrasse de l’intrus. Ainsi commence ce quatrième long métrage de la réalisatrice écossaise Lynne Ramsay. De fait, nous pénétrons d’un coup dans l’univers glauque de cet individu lourd, au visage masqué par une capuche, à la démarche lente et assurée.
L’homme, c’est Joe (Joaquin Phoenix), un ancien marine, devenu tueur à gages dont la spécialité semble être de sauver des jeunes filles enlevées par des réseaux pédophiles. Il vit avec sa mère avec laquelle il entretient une relation fusionnelle nuancée de pulsions agressives : meurtrissures d’enfance, souvenirs de guerre, qui émergent durant le récit filmique par de très courts flash-back lesquels « épaississent » son comportement. Joe, une masse en mouvement. De nouveau mandaté par un homme politique en vue, il part à la recherche de la jeune fille du sénateur, Nina (Ekaterina Samsonov). Son unique arme est un outil banal : un marteau !
A partir d’une simple nouvelle de l’auteur anglais Jonathan Ames (« You Were Never Really Here » – Tu n’as jamais vraiment été là) la réalisatrice écossaise, également scénariste, a
« tricoté » un récit d’une forme étonnante, alors même qu’il existe quantité de films de série B traitant de ce sujet classique : un tueur à gages à la recherche d’une victime qu’il cherche à sauver, quitte à se perdre lui-même : cinéma de genre amplement rebattu ! Dans ce film, rien ne se déroule comme prévu et nous sommes sans cesse surpris par l’efficacité de la mise en image et en sons. Outre l’efficacité de la mise en scène, il faut souligner la performance de l’acteur principal, Joaquin Phoenix qui, lorsqu’il est filmé en plans moyens ou gros plans, arbore un visage émouvant où l’on peut littéralement lire ses tourments, ses doutes, sa détermination. Tout visage est un paysage !
Le film est tourné en extérieur, souvent de nuit, à New-York « ville monde » la plus photographiée, ici magnifiée par la photo numérique du chef opérateur Thomas Townend. Il faut saluer le travail de découpage des scènes, les choix visuels de la metteuse en scène, Lynne Ramsay, qui nous procurent une sensation permanente d’étonnement, de dérangement.
Nous admettons dès lors par son traitement volontairement violent que le film puisse déplaire car nous sommes, nous voyeurs passifs (ou pas !), pris au piège de nos propres contradictions (satisfaction de spectateur !). Ce n’est pas un film « reposant » et encore moins divertissant comme la production cinématographique hexagonale que l’on nous propose plus qu’à notre tour.
Ce film, en dépit de sa banalité scénaristique, nous mène comme par effraction, hors des sentiers balisés.
Sélectionné au dernier Festival de Cannes (mai 2017), il a obtenu le Prix d’Interprétation pour Joaquim Phoenix, amplement mérité, plus mystérieusement le Prix du Scénario.
Jean-Louis Requena