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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 652 mots

La critique de Jean-Louis Requena

L’Echange des princesses - Film français de Marc Dugain – 100’

Charles II, roi d’Espagne, dernier des Habsbourg espagnols, meurt en 1700 en laissant un testament qui désigne Philippe, duc d’Anjou et petits fils de Louis XIV comme son successeur. Ce dernier devient roi d’Espagne la même année sous le nom de Philippe V. C’est un monarque affaibli par les contraintes testamentaires qui entravent ses décisions, et de surcroît un homme tourmenté, velléitaire, dépressif, confit en religion. S’ensuit une longue guerre de succession qui ravagea l’Europe sur terre et sur mer, de 1701 à 1714. Au traité d’Utrecht (1712), les nations continentales sont épuisées, ruinées, ouvrant ainsi la voie à l’Angleterre comme puissance émergente. La carte géopolitique s’en trouve bouleversée pour deux siècles entre les états continentaux durablement affaiblis, et l’Angleterre maritime dont les navires sillonnent les mers du globe.

Sur cette toile de fond historique au tournant du XVIIIème siècle, celui des grands changements, des bouleversements en devenir, Philippe d’Orléans, régent du Royaume de France, organise en 1721 un « échange » de princesses royales : le futur Louis XV (11 ans) est promis à Marie Anne Victorine d’Espagne (3 ans !) et le prince héritier espagnol, fils de Philippe V, Louis (14 ans) à Louise Elisabeth (12 ans). Ainsi, le corps diplomatique des deux pays, France et Espagne, quoique divisé, pensait mettre fin aux longs et incessants conflits qui opposaient la France à l’Espagne depuis l’accession des Habsbourg au royaume d’Espagne (1516 : Charles Quint) et qui épuisent les ressources de ces deux nations européennes.

Marc Dugain, écrivain, cinéaste, nous propose pour son quatrième long métrage, une adaptation du roman historique éponyme de Chantal Thomas, ici également scénariste.

C’est une gageure difficile de raconter avec des images, fussent-elles admirables, une trame historique au temps long avec le média cinéma dont la projection induit un temps court (100 minutes !). L’écheveau historique se déroule, se comprend, s’analyse beaucoup mieux, pour peu que l’historien soit scrupuleux (travaux sur les sources !), et talentueux (écriture fluide) alors que la représentation par images animées réduit par nature la complexité du propos. C’est un challenge difficile (tant de cinéastes ont échoué) que devait relever Marc Dugain. L’histoire en image tourne facilement à l’imagerie !

Le réalisateur, nanti d’un budget modeste, ce qui est rédhibitoire pour des films en costumes (en toute logique, le budget d’un film doit être doublé), s’en tire plutôt bien avec son équipe technique : les scènes intérieures, en décors réels, quoique statiques en majorité, sont réussies grâce à son chef opérateur, Gilles Porte. Elles soulignent l’enfermement des protagonistes dans des pièces sombres, insalubres, encombrées de meubles, de tentures : un univers étouffant propice à la vie dramatique de ces enfants princiers livrés aux regards dérangeants des nombreux courtisans. Leurs corps juvéniles sont les corps souffrants d’un jeu politique morbide dont ils ne sont que des pions. Notons un travail formidable sur les costumes, le jeu de lumières sur de somptueuses étoffes. Restent les personnages de ce drame intimiste et politique. Philippe V, Louis XV, l’Infante d’Espagne, Louis le prince héritier espagnol, et sa « fiancée » rebelle de ce drame : ils expriment des sentiments proches de notre sensibilité actuelle. La faiblesse du film de Marc Dugain est le langage verbal, trop contemporain, qui détonne dans les ors de ce début de XVIIIème siècle.

Comment faire autrement avec ce média qu’est le cinéma, art populaire ? Le cinéma n’est-il pas un véhicule idéal pour l’action en premier lieu qui peut, éventuellement, après coup, pousser la porte grinçante de la réflexion.

Bien entendu, au regard de la production cinématographique française, ce film ambitieux - malgré nos réserves - sort sans difficultés du lot courant. C’est pourquoi, il faut aller le voir sans hésitation et, de retour de projection, ouvrir ou rouvrir les livres d’histoire, fussent-ils ceux des rois et des reines, pour peu que l’historien, nous en avons de notoriété mondiale, nous narre par le menu, ce qu’aucun film ne fera : la Grande Histoire.

Jean-Louis Requena

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