0
Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
© DR

| Jean-Louis Requena 625 mots

La critique de Jean-Louis Requena

La Douleur - Film français d’Emmanuel Finkiel – 126’

En 1985 Marguerite Duras (1914-1996) publie chez POL son court récit « autobiographique » : « La Douleur ». Elle affirme avoir transcrit son texte à partir de carnets rédigés pendant l’Occupation sans y rien modifier. Un document brut en quelque sorte. Sa biographe Laure Adler, dans son bel ouvrage « Marguerite Duras » (1998 – Gallimard), analyse ses carnets de guerre et affirme que cela est faux : Marguerite Duras a réécrit longuement ses notes prises à la hâte. Il s’agit donc d’une réécriture soignée, quarante ans après les évènements.

Grâce à la minutieuse enquête de Laure Adler, à d’autres témoins du drame (Dionys Mascolo, Edgard Morin, etc.), l’histoire est très connue. Le 1er juin 1944, le mari de Marguerite Duras, Robert Antelme (1917–1990), membre important d’un réseau de résistance à Paris, est arrêté lors d’une descente de la gestapo française par un certain Charles Delval (Pierre Rabier dans le récit/roman). Il est interné à Drancy, puis envoyé par train au camp de concertation de Dachau (mi-août 1944). Sa femme fait le siège de la gestapo, rue des Saussaies à Paris, auprès de Charles Delval, pour tenter de le sauver de la déportation, voire de son exécution. S’ensuit un jeu trouble entre le policier énigmatique, manœuvrier, et la jeune femme traumatisée par l’arrestation de son époux et sous surveillance de ses compagnons de lutte, alertés par le comportement erratique de Marguerite : elle entretient des rapports étroits, ambigus, avec ce policier, alors même que la victoire alliée se profile : à la mi-août 1944, les libérateurs sont aux portes de Paris.

Emmanuel Finkiel, réalisateur, scénariste, n’a adapté qu’une partie du texte de Marguerite Duras dont l’écriture, par moment, atteint une haute intensité dramatique. C’est un écrivain majeur du XXème siècle dont toute l’œuvre est irriguée par l’ambivalence, l’ambiguïté des personnages qui la peuplent. Dans ce cas précis, c’est de l’auto-fiction transcendée par l’écriture, tout en étant une distorsion des faits réels rapportés par plusieurs témoins (y compris François Mitterrand -        « Morland » chef du réseau !). Avec un budget limité (6,5 millions d’euros) pour un long métrage en « costumes d’époque », Emmanuel Finkiel s’en sort plutôt bien. Une solide direction d’acteurs pour Marguerite (Mélanie Thierry), Pierre Rabier/Charles Delval (Benoît Magimel), Dionys Mascolo (Benjamin Biolay), etc. est à citer, tant ils sont crédibles dans leurs personnages respectifs. Le réalisateur a choisi, avec son chef opérateur, (Alexis Kavyrchine) de magnifier les premiers plans (visages, bustes, etc.), et de laisser les arrières plans, les plans lointains, délibérément flous afin que nous concentrions notre attention sur le déroulé de la narration et ainsi, ne pas disperser notre vision sur le manque de moyens de la reconstitution (budget !). Emmanuel Finkiel connaît les astuces de l’écriture cinématographique qu’il a assimilées en 16 ans d’assistanat (Jean-Luc Godard, Krzysztof Kieslowski, entre autres).

Le film illustre sans s’appesantir l’époque de la fin de l’Occupation ou les résistants peu nombreux, mal organisés, luttent avec des moyens dérisoires face à des policiers français, allemands, aguerris et disposant de moyens de coercition importants. C’est une lutte inégale dans un climat de peur, de tensions, y compris pour les bourreaux qui comprennent que leur fin est proche.

Robert Antelme, que l’on ne voit jamais à l’écran, sera sauvé du camp de Dachau presque mourant et écrira en 1947, le livre émouvant sur la déportation « L’Espèce Humaine ».

Le film est ambitieux, parfaitement maîtrisé de bout en bout. Il narre une période trouble de notre histoire récente (1940-1945) que les tenants du « Roman National » couvrent sous des brassées d’héroïsme. Nonobstant le « mentir vrai » du texte de Marguerite Duras, adapté ici partiellement, nous atteignons par l’image la complexité historique de cette époque trouble.

Jean-Louis Requena

Répondre à () :

| | Connexion | Inscription