Les Heures sombres - Film anglais de Joé Wright – 125’
Mai 1940. Les armées du Troisième Reich attaquent les Pays Bas et la Belgique qui s’effondrent rapidement sous l’impact des divisions cuirassées allemandes. A Londres, le gouvernement dirigé par le Premier Ministre Neville Chamberlain, gravement malade, est divisé. Que faut-il faire ? Le Premier Ministre, affaibli, attaqué de toutes parts pour sa conduite désastreuse de la guerre depuis septembre 1939, démissionne. Un gouvernement de coalition comprenant des membres éminents des partis conservateur, travailliste et libéral doit être formé rapidement. Un nom semble s’imposer pour le diriger : Lord Halifax. Mais celui-ci, chantre du pacifisme, dévot, ami intime du Roi George VI, se récuse sous un prétexte juridique fallacieux. Winston Churchill 65 ans, premier Lord de l’Amirauté depuis la déclaration de guerre (1er septembre 1939) est alors, par défaut d’autres prétendants, nommé Premier Ministre. C’est un politicien très connu qui a derrière lui une longue carrière politique faite de hauts et de bas, de traversées du désert, mais qui possède une parfaite connaissance des rouages gouvernementaux (il a été plusieurs fois ministre) et demeure au fait des problèmes militaires de son pays. Depuis plus de dix ans, très bien informé par un réseau d’amis bien placés, il écrit des articles incendiaires sur la militarisation de l’Allemagne de « Herr Hitler » (et du manque de clairvoyance sur ce sujet de son pays. C’est un homme décidé à se battre qui accède enfin au pouvoir suprême malgré l’hostilité d’une frange non négligeable de la classe politique anglaise que son mode de vie dispendieux, ses méthodes de travail, ses discours exaltants, son alcoolisme, effraient. Que va faire ce « vieux bouledogue » à la tête de son pays isolé (les Français lâchent prise) dans un conflit qui semble d’ores et déjà perdu ?
Le 13 mai 1940, Winston Churchill se présente à la Chambre des Communes pour prononcer son discours d’investiture qu’il a longuement travaillé comme à son habitude. La conclusion est restée célèbre : « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, de la sueur et des larmes » ; succès mitigé auprès des parlementaires. Le Premier Ministre de sa Majesté doit se battre sur deux fronts : le Cabinet de guerre, partiellement hostile à la poursuite de la guerre avec Lord Halifax, partisan d’une paix négociée avec l’Allemagne, et la conduite de la guerre sur le continent européen où le corps expéditionnaire anglais (350.000 hommes) est enfermé dans la poche de Dunkerque et va être, à court terme, probablement détruit par l’armée allemande.
Le film de Joé Wright retrace ce long mois de mai 1940, depuis l’investiture inattendue de Winston Churchill, ses combats, ses doutes, jusqu’à l’évacuation des Anglais et des Français (335.490 soldats !) du périmètre défensif de Dunkerque (Opération Dynamo – 29 mai/4 juin 1940). Ce long métrage est dans la tradition des films de genre, ici de guerre, ou les cinéastes anglais, par le passé, ont toujours porté un soin extrême à la reconstitution historique, notamment dans sa forme visuelle. Bien entendu, ce biopic « concentré » sur un mois de la vie d’un politicien hors norme comme le fut à tout point de vue Winston Churchill, est « dopé » par quelques scènes imaginaires, fort bien formatées, qui relancent la machine dramatique. Seuls quelques historiens s’offusqueront ou souriront devant l’intelligence du scénario par ailleurs scrupuleux, au plus près des faits historiques.
Pour ce genre de film, il faut que les personnages principaux et secondaires très présents sur l’écran soient crédibles. Gary Oldman (Winston Churchill), méconnaissable, est extraordinaire de vérité, en particulier dans les moments de doute et d’abattement de son personnage (Oscar du meilleur acteur 2018). Il excelle dans les scènes de marmonnement. Ses quelques scènes avec Kristin Scott Thomas (Clémentine Churchill) sonnent juste, les deux acteurs ayant capté l’étrange complicité conjugale qui régnait entre Clémentine et Winston. Tous les acteurs de cet ouvrage sont à citer, tant ils nous apparaissent fortement investis dans leurs rôles respectifs.
Ce film historique, sans trop de distorsion, épouse un point de vue intéressant : le « vieux bouledogue » irascible, colérique, génial par moments, pathétique par d’autres, alcoolique festif, est observé par les yeux, notre regard-spectateur, de sa jeune et nouvelle secrétaire Elizabeth Layton (Lily James). Cet axe permet une alternance judicieuse de scènes intimes et de scènes publiques. Le dernier long métrage de Joé Wright est de facture on ne peut plus classique. C’est un travail bien exécuté, nécessaire à notre temps oublieux du passé proche.
Jean-Louis Requena