« Los Adioses » - Film mexicain de Natalia Beristain Egurrola – 85’
Sur l’écran panoramique les images sont floues, le son étouffé, presque inaudible. Peu à peu elles gagnent en netteté : dans un lit, on devine un couple faisant l’amour, puis un autre couple plus jeune. Glissement visuel par effet de montage de l’un à l’autre. Une femme d’une quarantaine d’année semble se réveiller brusquement. A-t-elle rêvé les actions précédentes ?
Plan suivant : cette femme, Rosario Castellanos (Karina Gidi), dans une salle cossue, lit un texte à un auditoire attentif : il est question de la place de la femme dans la société mexicaine toute imprégnée de machisme (le machisme est un néologisme généré par le mot macho – homme viril, dominant dans une société patriarcale). Un quadragénaire à lunettes entre furtivement dans la salle pendant la lecture de Rosario. Il a un « look » d’intellectuel, il trouble l’oratrice qui l’aperçoit au fond de la salle. Nous apprendrons qu’il s’agit de son mari, Ricardo Guerra (Daniel Giménez Cacho), dont elle est séparée. A partir de cette brève scène d’exposition, par une construction subtile du scénario, des retours en arrière (flash-back), des accélérations vers l’avant, des scènes répétées avec variantes, nous suivons la vie de ce couple au parcours chaotique, de leur rencontre à l’université de Mexico, jeunes étudiants, à leur union, leurs séparations, leurs réconciliations.
Los Adioses (Les Adieux) est de fait le biopic d’une importante femme-écrivain mexicaine, Rosario Castellanos (1925/1974) morte d’un accident domestique ( ?) à Tel-Aviv alors qu’elle était ambassadrice du Mexique en Israël. Cette poétesse, essayiste, universitaire et enfin diplomate est peu connue en France. Seuls deux livres ont été traduit : « Les Etoiles d’Herbe », 1962, « Le Christ des Ténèbres », 1970 chez Gallimard, collection « Du Monde Entier ». Ce long-métrage dense, ramassé, de 85 minutes, narre les difficultés du couple formé par une femme hors du commun, travailleuse, féministe, « emplie » de son œuvre qu’elle déverse sur sa machine portative, et un homme, son mari, charmeur un peu dilettante et quelque peu volage. Nous suivons par à-coups, les affrontements, les retrouvailles de ces êtres aimants qui se déchirent dans un pays, le Mexique, au machisme triomphant dans les années 50 à 60. Un plan fixe, bref, mais magnifique, montre la jeune Rosario assise sur une chaise dans une librairie adossée à un mur de livres. C’est une citation : elle a le port de Simone de Beauvoir, l’auteur du « Deuxième Sexe » (1949), livre fondateur du féminisme après la deuxième guerre mondiale. Tout est dit de la détermination de Rosario Castellanos.
Pour son deuxième film, Natalia Beristain Egurrola (37 ans) a évité les pièges cinématographiques inhérents au genre biopic. Le récit est non linéaire, les scènes se succèdent par des trouvailles visuelles ou sonores qui nous font comprendre le combat permanent à l’intérieur de ce couple aimant et conflictuel. Pour ce binôme aisé, elle - écrivain reconnu toute dévouée à son œuvre en gestation, et lui - l’universitaire sans passion, les jalousies croisées, sentimentales, professionnelles, intellectuelles, érodent leurs relations intimes qui deviennent insupportables pour l’un comme pour l’autre. C’est une lente autodestruction du couple à laquelle nous assistons, par la grâce d’une mise en image inventive au montage façon puzzle.
Le miracle est que l’ensemble du film reste intelligible. Il conserve une fluidité narrative malgré de nombreux sauts dans le temps et l’espace.
Peu de longs métrages nous parviennent de ce grand pays Hispano-américain qu’est le Mexique. L’Age d’Or du cinéma mexicain de qualité (1940/1960) que nous avons connu est depuis longtemps révolu, même si la production cinématographique reste importante eu égard au pays (80/100 longs métrages par an). L’industrie hollywoodienne a sévi en attirant à elle d’abord de talentueux acteurs populaires (Maria Felix, Dolorès Del Rio, Pedro Armendariz, etc.) puis, plus récemment, les metteurs en scène (Alejandro Gonzalez Innaritu, Guillermo Del Toro, Alfonso Cuaro, etc.). Une opération de vampirisation telle que l’ont toujours pratiquée les « majors » d’Hollywood.
Cette œuvre ambitieuse, aux cadres rigoureux, à la forme narrative maitrisée (source : échanges épistolaires durant 15 ans entre les deux protagonistes) est une très bonne surprise sur un sujet prégnant, dans l’air du temps, de tous les temps, qu’est le féminisme, combat permanent qui n’est pas prêt de s’éteindre !