Una Questione Privata - Film Italo-Français de Paolo et Vittorio Taviani – 85’
Piémont italien 1943. Un jeune homme armé, Milton (Luca Marinelli), dans un épais brouillard, s’approche d’une grande demeure aux volets clos. Soudain une femme surgit de la brume et l’invite à rentrer dans la belle demeure : c’est la gouvernante. La guerre a fait fuir les propriétaires qui sont partis vivre en ville. Flash back : Milton y a passé des moments heureux, délicieux, avec Fulvia (Valentina Bellè) et son ami Giorgio (Lorenzo Richelmy) en devisant, en écoutant des chansons de Judy Garland (Over the Rainbow). Sur une remarque de la gouvernante, Milton comprend que Fulvia était probablement amoureuse du beau Giorgio, grand blond à la virilité assurée. Dès lors Milton taraudé par la jalousie, part à la recherche de son ami, lui aussi engagé chez les partisans qui combattent les fascistes de la République de Salo. Ceux-ci, à l’uniforme noir, sont surnommés les cafards.
Au cours d’une embuscade tendue par les partisans aux « cafards », Giorgio a été fait prisonnier. Dans cette guerre civile italienne il n’y a pas de quartier : Giorgio va être torturé, puis exécuté sommairement. Milton, contre l’avis de ses chefs, veut capturer un « cafard » pour l’échanger contre Giorgio avant que ce dernier ne soit mis à mort. Il veut savoir la véracité des sentiments entre Giorgio et Fulvia. Il est taraudé par la jalousie.
Une course à la vie, à la mort s’engage !
En visionnant le film des frères Taviani, à la beauté visuelle irréprochable, nous étions certain de voir leur dernière œuvre. Ces frères qui réalisent des films depuis 1961 (« Un homme à brûler ») nous ont enchanté par leur production telle que Padre Padrone (Palme d’Or à Cannes – 1977, Président du jury Roberto Rossellini !), La Nuit de San Lorenzo (Prix du Jury au Festival de Cannes – 1982) et enfin César doit mourir (Ours d’Or à Berlin – 2012). Une pluie de récompenses (nous ne pouvons les citer toutes) a ruisselé sur ce couple de cinéastes étonnant par leur longévité cinématographique et l’extrême exigence de leurs œuvres. Ce sont les fils spirituels de Roberto Rossellini qui, comme leur maître, sont passionnés par la nature humaine dans sa complexité. Leurs œuvres sont traversées par cette croyance que l’homme, la femme, ont soif de liberté, sont libres de leurs destins, de leurs choix.
Le temps fait inexorablement son travail de lente destruction : Vittorio l’ainé (né en 1929) est mort en avril dernier à 88 ans et son cadet Paolo (né en 1931) a 86 ans. Leur dernier opus « Una Questione Privata », adaptation du roman de Beppe Fenoglio (1922 -1963) paru chez Gallimard en 1978 sous le titre « Une Affaire Personnelle et autres récits » (Collection Du Monde Entier), s’en ressent. Si les images où la brume, le brouillard épais estompant les personnages et les forêts du Piémont sont superbes, le déroulement de l’intrigue manque de vigueur : les flash-back ralentissent le récit qui aurait dû être haletant. La mise en scène est contemplative, le rythme lent avec quelques séquences rapides. Fort heureusement, le film est court (85 minutes) ce qui n’est pas courant dans la production mondiale qui tangente ou dépasse les 120 minutes.
Le 19ème et ultime long-métrage des frères Taviani est dans la ligne que ceux-ci s’étaient tracée dès le début de leur carrière : exposer par le média cinéma, les problèmes intimes, sociaux, politiques de leur pays, l’Italie. Pour cela ils méritent, selon nous, toute notre admiration pour leur ténacité à produire des œuvres qui comptent dans un environnement économique, politique, peu propice à leur art.
Le cinéma italien, autrefois le plus puissant d’Europe après la Seconde Guerre Mondiale (400 films par an – 700 millions de spectateurs !) a sombré dès la fin des années 1980 dans une somnolence dont il ne s’est jamais réveillé (93 millions de spectateurs en 2017). Les frères Taviani ont maintenu la flamme de la créativité en des temps difficiles.
Qu’ils en soient remerciés.
Jean-Louis Requena