C’est à Moscou, devant la façade du célèbre hôtel « Métropole » dont le fronton s’orne de l’œuvre en « majolique » de Mikhaïl Vrubel « Princessa Gryoza » (ou la princesse des songes), qu’ont été effectuées les ultimes prises de vue du film « Le bonheur est ici » de Wladimir Bazynkov. Le tournage du documentaire avait débuté dans le Bordelais, au château Miller-La Cerda, grâce au grand prix du Festival du Cinéma Russe de Bordeaux « In Ciné Veritas » que le jeune cinéaste avait reçu en décembre 2018. Or la grande composition de Vrubel devant laquelle passent tous les Moscovites, entre la Place Rouge et l’Hôtel de Ville, avait été réalisée d’après la fresque que le génial artiste de l’« Art Moderne » avait conçue pour la Foire internationale de Nijny-Novgorod d’après «La Princesse lointaine », l’année même de la création de la pièce d’Edmond Rostand, en 1895. C’est donc toute l’équipe de tournage réunie par Wladimir Bazynkov et pilotée par Daria Tsukanova, initiatrice et dirigeante du festival cinématographique bordelais, qui a été remarquablement reçue par Catherine Egorova, directrice du patrimoine historique de l’hôtel « Métropole », qui a commenté les riches et beaux décors de l’établissement qu’ont fréquenté de nombreuses vedettes du 7ème Art, en particulier Gérard Depardieu, Annie Girardot, Carole Bouquet, Patricia Kaas et bien d’autres… ainsi que Marina de Bourbon, Pierre Cardin, l’astronaute Jean-Loup Chrétien, Jacques Chirac et François Mitterrand, dont les services de sécurité avaient exigé et obtenu l’apport d’un lit supplémentaire dans leur chambre, destiné à leur chien de garde renifleur !
Quant à « La Princesse lointaine » d’Edmond Rostand qui orne le fronton du palace moscovite - perle architecturale s’inscrivant parfaitement dans le cadre de la thématique « Belle Epoque » de cette année à la Villa Arnaga - cette pièce qui avait été créée le 5 avril 1895 sur la scène du Théâtre de la Renaissance avec Sarah Bernhardt dans le rôle de Mélissinde, a été rejouée il y a deux ans dans les jardins d’Arnaga: l’An de grâce 1148, pendant la deuxième Croisade, alors que l’Orient et l’Occident s’affrontaient en Terre Sainte, Jofré Rudel, prince de Blaye - ville dont il était le seigneur - et troubadour gascon, s’embarqua pour un long et dernier voyage car, se sachant malade, il désirait avant de mourir, voir la Princesse Mélissinde de Tripoli, qu’il aimait sans l’avoir jamais vue. Hélas ! Arrivé à bon port, mais se sentant trop faible, il enverra son fidèle ami Bertrand quérir Mélissinde, pour qu’elle daigne venir à bord de la nef. Cependant, Mélissinde s’éprendra de Bertrand, et réciproquement…
Or, ce n’est pas un hasard si une des premières pièces de Rostand s’inspirait du chevalier-troubadour Jofré Rudel, chantre de « l'amour courtois » qu’il avait côtoyéà la Cour de Poitiers où le comte Guillaume, le premier troubadour dont les œuvres nous soient parvenues, aurait pu être son maître de poésie ainsi que son suzerain, ou bien celle d'Ebles II, vicomte de Ventadour, sa rivale. Toujours est-il que ce « rêve poétique » de l’Amour courtois et cet esprit chevaleresque, la plume d’Edmond Rostand les imprimait naturellement à « la cire » de ses héros, de Jaufré Rudel à Cyrano.
N’était-il pas dès sa jeunesse « pétri » de cet idéal inclus dans son étude « Deux romanciers de Provence : Honoré d’Urfé et Emile Zola » qui lui avait valu sa première récompense littéraire octroyée par l’Académie de Marseille ? Il y écrivait : « (…) en cette Provence amoureuse de l’Amour (c’est chez elle qu’il a tenu des Cours célèbres), et qui aime tout ce qui en parle, où jadis, dans les manoirs seigneuriaux, on attendait impatiemment la venue chaque nouvel an, avec la saison des violettes, du Troubadour, ce romancier voyageur »…
Précisément, le 3 mai 1898, Edmond Rostand avait été admis comme Maître ès-Jeux à l’Académie des Jeux Floraux, « la plus ancienne société littéraire vivante du monde civilisé», et dont les idéaux correspondent si merveilleusement au chevalier-poète de l’amour courtois Jaufré Rudel. Fondée en 1323 par sept notables de Toulouse connus sous le nom des« sept troubadours », l’académie comptait parmi ses Maître ès-Jeux Floraux des écrivains que Rostand a côtoyés ou dont il s’est inspiré pour l’épopée de Jaufré Rudel dans « La Princesse lointaine », tel Camille Chabaneau, auteur des « Biographies des Troubadours ».
Le film de Wladimir Bazynkov devrait être présenté en décembre au Festival de Bordeaux, et peut-être concourir au prochain FICOBA de Biarritz.