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Trois religions en Navarre : la coexistence en questions
Trois religions en Navarre : la coexistence en questions
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| Alexandre de La Cerda 1199 mots

Trois religions en Navarre : la coexistence en questions

Mardi 20 décembre à 15 h à la cathédrale de Bayonne, Béatrice Leroy, historienne de l'Espagne médiévale et de la Navarre, professeur honoraire d'histoire médiévale à l'Université de Pau et des pays de l'Adour et auteur d’une cinquantaine d’ouvrages – beaucoup sont consacrés à la péninsule ibérique au Moyen Age -, donnera une conférence sur « la Navarre médiévale où vivaient trois religions ».

On a coutume d’affirmer un peu rapidement à notre époque que dans ce royaume à cheval sur les Pyrénées cohabitèrent ce qu’il est convenu d’appeler « les trois religions du Livre ».

La réalité fut certes plus complexe: en 711, les armées maures traversent le détroit de Gibraltar et atteignent Saragosse en 712. Toute la région est soumise au pillage jusqu’à Poitiers où Charles-Martel les arrête en 732. Une grande partie de la péninsule ibérique est ravagée et pillée, les populations autochtones convertis de force à l’Islam ou exilées, leurs chefs décapités et leurs prêtres martyrisés. Le patronage de l’un d’entre eux, Pelayo, jeune adolescent martyrisé à Cordoue en 925, fut attribué à la fondation de la ville « nouvelle » de Saint-Palais en Basse-Navarre. Peu de temps auparavant, malgré les efforts des premiers rois de Navarre qui essayaient de maintenir leur indépendance, les musulmans avaient pris et détruit Pampelune.

L’invasion islamique
A la fin du IXe siècle, Mohamed de Cordoue, successeur d'Abderraman II, avec sa puissante armée, avait déjà franchi l'Ebre et parcouru la campagne de Navarre, emmenant captifs à Cordoue les enfants du roi de Navarre. Fortun Garces (882-905) passera ainsi vingt ans de sa vie à Cordoue avec sa sœur. Mais ce fut Sancho Garces (905-925) qui forgea le royaume de Navarre en s'opposant aux Musulmans. Il arriva à reconquérir les terres riches occupées par les maures et leurs alliés les Banu Qasi, des nobles wisigoths que les envahisseurs maures avaient converti à l’islam, fixant ainsi la frontière de la Navarre sur l'Ebre.

Or, les relations entre les populations chrétiennes soumises et leurs conquérants musulmans étaient difficiles, particulièrement en Alava et en Navarre. D’après l’universitaire Yvette Cardaillac-Hermosilla de l’Université de Bordeaux III, les prescriptions du Coran commandent à l’Islam de procéder à « une division en trois groupes : les Musulmans, les gens du Livre et les idolâtres ». Si les idolâtres sont exclus de toute « tolérance pluraliste », en revanche les gens du Livre (Chrétiens et Juifs) « bénéficient » de la Dhimma, véritable contrat de « protection-soumission » : ils sont admis avec leurs croyances et leur culte mais « devront être humiliés et payer leur admission dans la communauté des croyants » au moyen d’un impôt ou « Jizya ». La politique des califats espagnols islamiques au Moyen-âge oscillait entre l’extermination des chrétiens, leur conversion à l’Islam ou la collecte de l’impôt auprès des « Dhimmis » (soumis).

Une longue reconquête
Cependant, l’éclatement au XIe siècle du califat omeyyade en une multitude de petits États ou « taifas » va pourtant accélérer la reconquête par les États chrétiens du Nord. En 1086, l’année qui suit la prise de Tolède, les dirigeants musulmans des taifas appellent à l’aide les Berbères almoravides, récents fondateurs d’un empire en Afrique du Nord. Malgré leur défaite face à l’émir Yûsuf ibn Tashfin, les stoppe alors la reconquête en écrasant l’armée chrétienne à Sagrajas (1086) avant de rembarquer pour le Maroc. Les chrétiens n’en continuent pas moins la libération progressive des terres envahies par l’Islam alors que les Almohades qui ont remplacé la puissance almoravide en Afrique du Nord constituent leur nouvel ennemi. Malgré le désastre d’Alarcos en 1195, qui entraîne un traumatisme en Occident car survenant peu après la reprise de Jérusalem par les musulmans, les chrétiens arrivent à se maintenir jusqu’au Tage. Désireux de poursuivre son expansion contre les États chrétiens – castillan et navarrais - du Nord de la péninsule, le nouveau calife almohade, Muhammad an-Nasîr (appelé « Miramamolin » par les chrétiens, par déformation du titre « al-Amîr al-Mu’Minin » signifiant émir des croyants) décida de lancer une grande offensive qui provoqua un effroi certain, jusqu’en terre d’Oc, du fait de la puissance militaire des almohades, alors à son sommet.

C’est à cette époque qu’eut lieu la bataille de Las Navas de Tolosa : le lundi 16 juillet 1212, le roi de Navarre Sanche VII « le Fort » et ses chevaliers prirent une part déterminante dans la victoire des troupes chrétiennes coalisées sur celles de Muhammad an-Nasîr. Situé loin des terres basques, cet événement n’en fut pas moins décisif à plus d’un titre pour l’avenir de la Navarre et de toute notre région.

La tradition rapporte encore que Sanche VII le Fort fit construire l’église de Saint-Jean-Pied-de-Port en guise d’ex-voto à sa victoire. La ville se développe à cette époque : elle reçoit un for ou fuero, c'est-à-dire une charte de franchise fixant les droits et devoirs, et privilèges des habitants afin de favoriser entre autres l’implantation d’artisans (exemptions d’impôts, des terres pour construire leurs habitations et leurs boutiques). Au XIIIe siècle, à la mort de Sanche le Fort, c’est une ville commerciale prospère.

Mais le souverain navarrais ne sembla pas réclamer à ses alliés castillans qu’il avait pourtant sauvés le retour des territoires indûment confisqués quelques années auparavant. L’Alava et surtout le Guipuzcoa – avec Saint-Sébastien et Fontarabie – dont la perte privait la Navarre d’un débouché sur l’Océan. A ce propos, l’historien Eugène Goyheneche avait confié un jour à Michel Duvert sa vision très personnelle de cet épisode historique : « La Castille grandit, de même que l’Aragon, ils avancent dans la péninsule et ferment la Navarre qui se voit privée des terres de reconquête. Elle est coincée, réduite à n’être plus que la Navarre. Les autres ont toute la péninsule pour eux ! Sanche VII le Fort collabore avec Alphonse VIII de Castille alors qu’il aurait pu le battre. Or, il l’a aidé ! Et ça se passait à las Navas de Tolosa, aux portes de l’Andalousie » !

Une spécialiste de l’époque médiévale
Ancienne élève de Sion à Biarritz où elle est née, Béatrice Leroy fut professeur de lycée, maître de conférences et professeur d'histoire médiévale à Pau où elle a fait l'essentiel de sa carrière universitaire, non loin de la frontière espagnole et donc des sources de travail. Elle a concentré ses recherches sur la Navarre et les questions religieuses, sans omettre les Juifs, et sur la réflexion politique de la Castille aux époques médiévales. Auteur également d’ouvrages généraux : « Hommes et milieux en Espagne médiévale : Navarrais et Castillans du XIIIème au XVème siècles » et « Pouvoirs et sociétés politiques en péninsule ibérique, XIVème -XVème siècles » et « L'Espagne des Torquemada, catholiques, juifs et convertis au XVème siècle », elle a participé à l’ouvrage « Les religions triomphantes au Moyen Age : de Mahomet à Thomas d'Aquin » destiné à répondre aux questionnements contemporains concernant les grandes religions nées autour de la Méditerranée (judaïsme, christianisme et islam). Ainsi que « L'Eglise en Espagne au Moyen Age : ses combats du VIIe au XVe siècle », une histoire de l'Eglise médiévale espagnole au temps de la lutte contre l'invasion de l'Islam et les hérésies au Haut Moyen Age, les combats militaires et sociaux de la Reconquista, les polémiques contre les juifs et les musulmans, etc.

Alexandre de La Cerda

Le tableau de la bataille de Las Navas par Horace Vernet

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