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Biarritz : quelques questions à l’auteur de la polémique sur le quartier de La Négresse
Biarritz : quelques questions à l’auteur de la polémique sur le quartier de La Négresse

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Biarritz : quelques questions à l’auteur de la polémique sur le quartier de La Négresse

Avec plus d'un demi-millier de participants, la réunion publique "Quartier de La Négresse : histoire et avenir d'un nom" avait fait le plein mardi 11 mars dernier dans l’auditorium du Bellevue. Il s'agissait de présenter les conclusions du travail de recherche sur l’histoire du nom du quartier de La Négresse mais aussi d’expliquer la décision de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 6 février dernier et d'échanger avec les Biarrots dont la quasi-unanimité désirait conserver l'appellation historique. Un de nos lecteurs nous a fait part de ses réflexions que nous publions ci-dessous :

Toponymie

L’auteur de la polémique sur le nom du quartier de La Négresse (M. KD) oserait-il demander à Haïti, première république noire du monde, de modifier ses toponymes historiques issus de la colonisation et conservés au terme d’une révolution héroïque, qui incluent naturellement le terme « nègre », tels le Fond des Nègres, ou Place Nègre, Boukan nèg... ? Ou des monuments tels que le célèbre Nègre marron (Nèg mawon) de la place du Champ-de-Mars à Port-au-Prince ?

Il existe une bonne trentaine de toponymes du même type dans l’espace régional aquitain-gascon, reposant sur l’étymologie « terre(s) noire(s) ». Ainsi à Bordeaux, l’ancien asile municipal, actuelle maison de retraite (Ehpad) de Terre Nègre bâtie sur un ancien domaine de Caudéran voisin de celui de Lognac, réservé à l’hippisme, où l’on allait autrefois voir des corridas. Et de l’autre côté de la Gironde, à Saint-Palais-sur-Mer, en Charente-Maritime, le phare de Terre-Nègre. C’est aussi non loin de là, à Royan le nom d’un golf de neuf trous, le golf Terres Nègres. Et en Espagne, celui d’un vin rouge catalan. 

Et que dire de cette commune de Nègrepelisse dans le Tarn & Garonne gascon dont le nom provient de l’activité forestière de ses charbonniers à la peau (« pelisse ») noire ? Faudra-t-il penser à la débaptiser comme on le fit sous la Terreur pour tous les hagiotoponymes évoquant les Saints et la religion, la monarchie ou la noblesse ?

Et pourtant, M. KD n’a t-il pas lui-même souhaité baptiser son circuit de « découverte » de la ville « Bordeaux nègre » pour s’opposer au Bordeaux créole historique que venait de lui révéler un ouvrage trop peu pris en compte par les médias locaux mais ayant donné son nom à une salle du Musée d’Aquitaine, L’Eldorado des Aquitains (1998)..., s’érigeant ainsi lui-même en seul propriétaire de la faculté de nommer les lieux où il vit à sa guise ?

Anthroponymie

Dans la même veine onomastique, pour satisfaire à l’esprit militant en vogue, M. KD en viendra-t-il à réclamer l’abrogation des noms de personnes formés sur le même radical ? Ainsi, par exemple, les familles nobles ou notables porteuses de noms antiques tels que Nègre, Neigre, de Nègre ou de Négrier, surtout lorsqu’elles sont en possession de surcroît d’armes dites « parlantes », « à la tête de Maure » ou « à la tête de Nègre », devraient-elles renoncer à des patronymes de grande ancienneté et illustrations dans l’histoire qui font leur légitime fierté ?

Et que dire alors des princes-évêques du Montenegro, issus de la dynastie royale des Petrovitch-Njegos dont le patronyme rappelle la montagne noire (monte negro) que les navigateurs vénitiens avaient immédiatement remarquée en arrivant dans les parages ?

Littérature

Ambitionnerait-il de réécrire l’œuvre des grands aïeux du mouvement de la Négritude, son compatriote Léopold Sédar Senghor, le Guyanais Léon-Gontran Damas, et surtout le Martiniquais Aimé Césaire (« Le Nègre majuscule » selon l’écrivain haïtien Joël Des Rosiers, auteur de l’hommage mortuaire à « Aimé Césaire. Adieu au Nègre majuscule », où sont évoquées « l’hypermnésie de la souffrance nègre » et « la négraille debout » ?

Faudrait-il aussi, pour faire bonne mesure, supprimer tout le discours ironique de Montesquieu sur l’esclavage dans L’Esprit des Lois (De l’esclavage des Nègres, chapitre XV, 5, de l’édition de 1748), déjà si malencontreusement incompris de bon nombre de mauvais élèves et, plus malheureusement encore, de quelques enseignants militants aveuglés par leur bien-pensance ignorante ?

Faudra-il, pour finir, abolir l’expression de « nègre » littéraire créée par le quarteron d’origine dominguoise (haïtienne) Alexandre Dumas père, lors de sa collaboration avec Maquet ?  D’autant plus qu’Anatole France s’est permis d’affirmer que « Le plus grand des Dumas, c'est le fils de la négresse... », le premier général de couleur français, dont « l’existence est un chef d’ œuvre » ?

Paradoxalement, un professeur français intéressé aux aspects littéraires locaux, devrait-il se repentir d’avoir enseigné pendant des années à la Martinique le superbe roman social et historique La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel qui a engendré le beau film éponyme d’Euzhan Palcy, récompensé par de nombreux prix prestigieux dont le Lion d’Argent à Venise en 1983 ? 

Et en Haïti, le chef d’œuvre international de Jacques Roumain, Gouverneurs de la Rosée, traduit dans plus de trente langues ? Sous prétexte que dès la seconde page, le vieux Bienaimé déclare en fumant sa pipe : « Oui, en vérité, le nègre est une pauvre créature »… et que son épouse, la vieille Délira, déplorant de l’avoir invectivé, se rapproche tendrement de lui en répondant « Ô Bienaimé, nègre à moué.. », sur cette terre aride qu’il avaient tous dans le village « travaillée durement en nègres conséquents » (Les Editeurs français réunis, Paris 1946, p. 13-14).

Linguistique

M. KD aurait-il la prétention de réformer la langue créole – qu’il ne pratique pas – dans son emploi du terme « nègre » (nèg) pour signifier tout simplement « être humain », « homme » (« nèg foutbol, footballeur », « Neg sa-a », celui=-là), ou encore, tout « neg » haïtien (c’est-à-dire homme), en opposition à « Blan », l’étranger, dont on peut dire parfois « Ce blanc est un bon nègre » ? C’est exactement, sur ce point, ce qu’en dit l’académicien français d’origine haïtienne vivant au Québec Dany Laferrière, auteur de « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer ». 

De même, voudrait-il supprimer le « nègue » gascon : par exemple celui de l’éditeur gascon « Princi Negue » (ou encore « Princi nègre », ou « Princi Nèguer »), qui a pris le nom d’usage en français d’Edouard de Woodstock, notre fameux Prince Noir, à la tête d’une Principauté d’Aquitaine spécialement créée pour lui par son père le roi Edouard d’Angleterre et où le gascon était langue d’Etat ? 

Sans oublier, la plus humble variante dialectale du parler gascon maritime, « lo parlar negue », le parler nègre, ou noir, en français, ou gascon noir par opposition au gascon clair ? Ainsi que tous les toponymes locaux catalans, occitans ou gascons, formés sur le même modèle, tels Puech nègue, dont les spécialistes de Région Gascogne Propective ont dressé via le site Gasconha.com (Tederic et alii) une liste non exhaustive pour les noms gascons, comprenant plus d’une trentaine de locs (lieux), tels, pour les plus surprenants, le Chemin de Blanche nègre, la Rouille de Nègre, la Lède nègre, Arnaud nègre, le Barail de la Nègre, bois du Nègre, La Plane de Nègre…, etc., et, tout simplement, le plus souvent, « Le Nègre » ou « lou Négue ».

Pourrait-on se permettre de suggérer à nos juges pour conclure qu'il paraîtrait tout simplement plus raisonnable, voire nécessaire en la matière, que nos  institutions (juridiques en particulier) s'attachent plutôt à sanctionner à l'avenir les usages racialisés abusifs d'un terme devenu évidemment péjoratif lorsqu’il désigne une personne, comme c’est finalement le cas ici dans l’esprit de l’auteur de la polémique, en l’occurrence avec cette mise en justice par l'activiste KD sur la seule base de son ignorance scientifique et de son désir d'en découdre racialement sur le champ de la victimisation au goût du jour ?  

N’y a-t-il pas là matière à condamnation pour abus de justice et incitation à la haine sociale ?

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