La pastorale « Domingo Garat » sera présentée les dimanches 28 juillet et 4 août prochains à Pagolle. Elle relate l'histoire des frères Garat et plus particulièrement le sujet Domingo Garat d'Ustaritz. L'Institut culturel basque est partenaire. En 1982, la commune de Pagolle présentait la pastorale « Pette Basabürü, un personnage imaginaire sur fond d'exode rural et désertification. 37 ans plus tard, le village se lance un nouveau défi en honorant un fils d'Ustaritz, Domingo Garat. Les frères Garat, Joseph et Domingo, avaient été désignés comme représentants du Labourd à la convocation des Etats Généraux par Louis XVI. L’auteur de la pastorale, Frantxoa Caset, porte ainsi à la connaissance du public des épisodes peu connus de l’histoire du Pays Basque pendant la révolution française en abordant l’abolition des privilèges (c’est-à-dire des libertés « autonomiques » avant la lettre) des provinces basques le 4 août 1789 et leur suppression pure et simple au profit d’un département des Basses-Pyrénées réunissant les Basques et les Béarnais, la terreur, la guerre franco-espagnole et la déportation de milliers de Basques du Labourd et des confins bas-navarrais « accusés de complicité avec leurs voisins navarrais et donc de supposée traîtrise à l’égard de la nation française », en réalité une haine contre un peuple qui voulait garder sa langue, sa culture, sa religion, en un mot son âme sans trop se mêler des événements parisiens. Une tragédie que j’ai étudiée dans mon livre « La déportation des Basques sous la Terreur » paru chez Cairn en 2016, alors que j’avais publié une étude assez fournie sur la famille Garat dans la revue « Jakintza » il y a quelques années, et dont je publie ci-dessous quelques extraits.
Nouvelle-Phénicie et Banque de France
Sur la route de Bayonne à Cambo et Saint-Jean-Pied-de-Port, la zone industrielle et commerciale de l’agglomération avec son groupement des concessionnaires automobiles rattrape désormais les communes voisines : la ville de Bayonne a racheté le golf de Bassussarry avec le « château » d’Urdains, maison massive aux volets clos qualifiée de demeure à « l'Italienne » qui surplombe cet axe de grande circulation entre la côte et l’intérieur.
Elle fut construite par Dominique Joseph, le cadet des célèbres frères Garat, qui s’y retira au terme d’une carrière politique et littéraire bien remplie pour y mourir dans des circonstances que la légende entoure d’un curieux mystère.
Remplaçant Danton au ministère de la Justice en 1792, il avait dû, à ce titre, notifier à Louis XVI la sentence de mort non sans lui avoir amené un confesseur. Bien plus tard, une fois retiré pour ses vieux jours à Urdains, on prétendit que les lunettes d'or qui lui avaient servi à cette fatale lecture le 20 janvier 1793 ne devaient plus sortir d'un tiroir auquel il était interdit de toucher. Or, familier des lieux, le curé d‘Ustaritz les utilisa un jour pour lire son bréviaire en attendant le maître de maison. Et, lorsque Dominique Joseph Garat, de retour à Urdains, les aperçut, il se serait écrié : « Les lunettes de la sentence ! » avant de tomber foudroyé.
La destinée n'imprima pas la même trajectoire aux trois frères Garat d'Ustaritz, en particulier l'aîné Dominique, et le cadet Dominique-Joseph (né, lui, à Bayonne) qui furent précipités dans la tourmente révolutionnaire de 1789.
Le premier, bon catholique de tendance « monarchiste constitutionnel », défendit âprement les provinces basques lorsqu'il s'était agi d'abord de préserver l'indépendance de la Basse-Navarre, que seule une union personnelle avec le monarque rattachait à la France : « Une nation qui veut être libre ne commencera pas par attenter aux droits d'autrui » !
Lors de la formation du département des Basses-Pyrénées, il suivit les recommandations du Bilzar du Labourd qui, entretemps, demandait « de n'être mêlé à aucun pays voisin pour sa provincialité (...) Si cependant il y avait une impossibilité absolue de laisser le Labourd en lui-même, c'est avec les Basques Navarrais et ceux de la Soule qu'il pourrait fraterniser le mieux, parce qu'il y a entre eux une identité, des mœurs et des lois ».
La défense fut reprise par son frère, Garat le jeune, qui démontra que dans ce futur département où l'on mêlait les Basques, en minorité, aux Béarnais, en plus grand nombre, les décisions seraient aux mains des Béarnais.
L'assemblée passant outre, il cria son indignation : « Il me reste un devoir à remplir, il m'est prescrit par mes commettans, par ma raison, par ma conscience, nulle chose au monde ne pourrait me le faire oublier. Par une délibération unanime, ma province proteste... » Il ne put continuer, sa voix fut couverte par les cris et il fut rappelé à « l'ordre ».
Et l’historien Eugène Goyhenèche de conclure : « Ainsi au nom d'une liberté et d'une démocratie abstraites qui aboutirent à Robespierre et à Napoléon, une majorité d'idéologues, descendants de serfs, écrasa les libertés réelles des séculaires démocraties basques... »
Spécialisé dans les procédures administratives et judiciaires, défenseur de la constitution, Dominique Garat l'aîné s'opposa également à toutes les mesures vexatoires pour le Roi. A la dissolution de la Constituante dont il avait été élu secrétaire, et après une période d'exil à Montauban, sous la Terreur, il revint à Ustaritz où il mourut en 1799. Lorsque survint la Restauration, le cadet écrivit à sa famille : « Si mon frère vivait, comme il serait content ! »
Témoignant, pour sa part, de beaucoup moins de constance dans ses idées, au point que Madame Roland le qualifiera « d'eunuque politique », Dominique-Joseph Garat le jeune, conventionnel et ministre de la justice, s'opposera cependant de toutes ses forces à la condamnation de Louis XVI, demandant l'abolition de la peine de mort et l'amnistie politique, offrant même, au péril de sa vie, de cacher le proscrit Condorcet au ministère de l'Intérieur.
Le Premier Consul le nommera sénateur, l'Empereur le fera comte, président de l'Institut... et le chargera d'une étude sur les Basques ! En effet, « Protecteur de la Confédération du Rhin » et « Médiateur de la Confédération Helvétique », Napoléon n'était pas opposé à la création d'une « Fédération Basque » dont le principe fut exposé en 1811 dans le « projet de réunion de quelques cantons de l'Espagne et de la France dans la vue de rendre plus faciles et la soumission de l'Espagne et la création d'une marine puissante ». C’était, hélas, avant que l’Empereur ne s'enfonce dans la campagne de Russie en 1811…
Cependant, la valeur des projets et des ouvrages de Garat (sa carrière littéraire fut couronnée par plusieurs prix de l'Académie française où il fut élu en 1803) ne suscitait pas un enthousiasme unanime. Dans l’épigramme de Rivarol :
« Deux Garat sont connus : l’un écrit, l’autre chante.
« Admirez, j’y consens, leur talent que l’on vante,
« Mais ne préférez pas, si vous formez un vœu,
« La cervelle de l’oncle au gosier du neveu »,
il était question de son neveu Pierre-Jean, chanteur et auteur de romances qui serait né à Ustaritz selon la biographie de Fétis. Ce fils de Dominique Garat l’aîné, protégé du Comte d’Artois et de Marie-Antoinette à laquelle il demeura fidèle, tâtera de la prison révolutionnaire (pour avoir chanté « La romance de la Reine ») avant de s’exiler, puis de revenir en 1794, devenant professeur de chant au Conservatoire de musique nouvellement institué, et l’idole des Muscadins et des « Incroyables ». La mode - appelée parfois « garatisme » car il aurait contribué à la lancer - recommandait alors de ne pas prononcer les « R » ; tout comme ses tenues vestimentaires réputées extravagantes étaient copiées par certaine « jeunesse dorée », ou critiquées par des esprits plus intransigeants… Néanmoins, tous ses contemporains semblaient afficher une belle unanimité à propos de sa voix, « d’une souplesse hors du commun, s’adaptait à presque toutes les tessitures : un résumé de toutes les voix, un composé de tous les registres ».
Or, Pierre-Jean avait un jeune frère avec qui parfois on le confondit car, lui aussi, s'illustra dans le domaine de la musique. Il s’agissait de Joseph-Dominique-Fabry Garat, dont Fétis rapporte dans sa « Biographie universelle des musiciens » que la nature lui ayant donné une voix de ténor fort belle, il cultiva particulièrement le genre de la romance, auquel il dut sa réputation. Curieusement, Fabry Garat mena en parallèle une carrière dans les finances publiques qu’il avait débuté vers 1808 dans les départements de la Belgique (annexés par la révolution française) pour devenir, à la perte de ces territoires après la chute de Napoléon, sous-chef de bureau au ministère des Finances à Paris.
Un autre Garat, Martin, qui connut également une vie mouvementée pendant la période trouble de la fin du XVIIIe siècle et figura parmi les fondateurs de la Banque de France dont il fut le véritable organisateur ! Sans doute ce Martin Garat était-il parent -proche ou éloigné - de la « fratrie ustaritztar » avec laquelle il n’en fut pas moins étroitement lié (son père Pierre, maître-menuisier à Bayonne, est souvent confondu avec Pierre Garat, médecin à Ustaritz et père des célèbres frères avocats). Entré en1785 au Trésor royal qui était la caisse générale des revenus de l'État, Martin Garat dut sans doute connaître un des dirigeants de cette administration qui était le fils de Jean-Joseph de Laborde, fermier général et banquier de la Cour sous Louis XV, également armateur à Bayonne et propriétaire à Saint-Domingue. Conservant d’abord une charge importante dans la nouvelle « Trésorerie Générale » révolutionnaire, notre jeune « financier » connut diverses tracasseries qui le firent démissionner. Il fut même incarcéré à la suite d’un séjour à Bayonne où le passeport délivré par le commandant de la place parut d’autant plus suspect aux révolutionnaires parisiens qu’ils avaient trouvé sur lui une lettre écrite à son frère Dominique-Joseph par Marie-Théodore Garat, ex-religieuse du couvent de la Visitation à Bayonne. Une lettre écrite « en termes peu intelligibles », vraisemblablement en basque, ce qui n’arrangea guère ses affaires. Le lendemain, c’était précisément au tour de Dominique-Joseph Garat, qui venait de remettre sa démission de ministre de l'Intérieur, d’être mis en état d'arrestation.
Libéré après la chute de Robespierre, nommé quelques années plus tard directeur intérimaire de la Caisse de comptes courants après l’escroquerie de son prédécesseur qui s’était enfui avec la caisse, on lui offrit la direction générale de cet établissement fusionné avec un organisme nouvellement créé sous l’égide du Consulat désireux d'assainir la situation financière. Ce fut la Banque de France dont un des actionnaires était le Premier Consul Bonaparte !
Ainsi, à l’image de ceux de la Caisse de comptes courants, les billets de la Banque de France porteront la signature de Garat, jusqu'à sa mort. On trouva un surnom à ces billets que Balzac mentionnera dans son roman « Splendeurs et misères des courtisanes » : lors de leur mise en circulation, les bagnards les avaient appelés des « fafiots garatés » du nom de Garat, le caissier qui les signait. Alexandre Dumas ne fut pas de reste, qui notera dans ses Mémoires : « Garat, l'homme dont la signature est la mieux appréciée de toutes les signatures commerciales ». Tout comme Victor Hugo, dans « Les Châtiments »: « De l'écu de cinq francs on s'élève au billet signé Garat ; bravo ! puis du billet de banque, on grimpe au million, rapide saltimbanque ! »
Programme de la pastorale « Domingo Garat » à Pagolle ce dimanche 28 juillet :
10h : messe
11h : défilé
12h30 : repas
15h30 : pastorale
20h30 : soirée animée
L’association « Donibaneko Batzokia » organise un bus, le dimanche 28 juillet, pour Pagolle où sera jouée la pastorale Domingo Garat. Départ halte routière de St Jean-de-Luz 9h, retour 22h, entrée et voyage 40€. Appeler le 06 06 52 19 08 pour plus de renseignement.
Alexandre de La Cerda