Les avis des critiques sont partagés sur « On the Milky Road », le nouveau film d’Emir Kusturica qui est sorti sur les écrans cette semaine: certains critiques voient dans ce poème d’amour désespéré sur fond de guerre civile, interprété par Kusturica lui-même et Monica Bellucci, « un plaisant addendum à une œuvre à nulle autre pareille (…) qui fait heureusement renouer avec cette fantaisie bariolée, cette poésie du bric-à-brac, cette vitalité débordante et désordonnée, cette exubérance baroque et foutraque qui font le charme halluciné du cinéaste » (Laurent Dandrieu).
Sous le feu des balles, Kosta, un laitier, traverse la ligne de front chaque jour au péril de sa vie pour livrer ses précieux vivres aux soldats. Bientôt, cette routine est bouleversée par l’arrivée de Nevesta (fiancée, dans la plupart des langues slaves), une belle réfugiée (serbe) italienne. Entre eux débute une histoire d’amour passionnée qui les entraînera dans une série d’aventures rocambolesques. D’autres critiques, en particulier dans « Le Monde », tout en reconnaissant que « le cinéaste n'a rien perdu de sa puissance poétique », en particulier dans « la scène de l'arbre, la vision du paradis, quand les amants construisent une maison au milieu des roseaux », ou dans « ces trésors d’imagination et de mise en scène » déployés pour une « incroyable grande horloge », n’en jugent pas moins Kusturica avec sévérité pour « entonner l’hymne du balkanisme résistant (le petit village serbe) contre l’impérialisme des grandes puissances internationales : « alors que la foule chante son hostilité à Big Brother, le héros de guerre est porté en triomphe enveloppé dans un drapeau serbe. Il sera ensuite assassiné par des tueurs d'un camp qui ne respecte pas la trêve qu'il a signée (…) Mettre en scène des soldats occidentaux qui parlent en anglais et poursuivent les gentils habitants du village jusqu'à incendier leurs maisons et y commettre un massacre n'a rien d'innocent ».
La guerre, le capital, Wall-Street, une bête tricéphale
A la veille de son 60e anniversaire, Emir Kusturica n’affirmait-il pas en guise de regard extérieur, « que le passé et ce qui se passe aujourd'hui et ce qu'il y aura demain, tout tourne, malheureusement, constamment au tour du même sujet. Lorsque les américains nous donnent tout le temps des leçons comment s'enrichir, c'est toujours la même histoire, ce sont ceux qui ont les moyens qui doivent s'enrichir, et eux, ils vont diriger cet enrichissement (…)
Mon idée en tant que sexagénaire consiste à trouver la réponse définitive à la question : "qui est l'homme ? D'où il vient, où il va" ? Indépendamment de ses origines ethniques. Mon idée est que l'homme apparaît comme un être plus noble, plus sensé, qui est guidé dans sa vie par des intentions meilleures que ce que lui est "prescrit" par le capitalisme occidental. Il vit en dehors de ce cercle dominant, un cercle du mal qui se définirait ainsi : la guerre, le capital, Wall-Street. C'est une bête tricéphale, particulièrement puissante depuis cette influence dont dispose Hollywood et la machine de propagande américaine. Ceci dit, au fond c'est la même chose. Et c'est un pays qui autrefois possédait une grande idée qui était le rêve Américain. Aujourd'hui, il n'y a plus aucune idée là-bas. Mis à part celle de s'approprier, de prendre le contrôle sur toutes les ressources énergétiques, partout dans le monde. Alors, en tant que sexagénaire qui comprend beaucoup de choses, je peux dire que le rêve américain, à dire vrai, a beaucoup été déformé durant les cinquante dernières années (…) L'Amérique fait de la propagande et les gens ont beaucoup de mal à creuser pour découvrir la vérité ».
Ukraine et Yougoslavie
Et concernant le conflit ukrainien, Emir Kusturica y trouve des analogies avec ce qui s’est passé au sein de la Yougoslavie et de son démembrement : « J'essaie d'y voir clair et comprendre ce qui est derrière ces évènements. C'est la raison pourquoi j'ai arrêté de regarder la télé, car elle n’en montre que la façade, qui n'est pas l'essence du problème. Je pense que l'Ukraine, c'est la mise en œuvre d'une vielle idée américaine d'approcher l'OTAN de la frontière russe. Ainsi, les évènements qui ont eu lieu au Maïdan ressemblent beaucoup à ce qui s'était passé en Bosnie et Herzégovine. Lorsque la guerre en Bosnie a éclaté, elle a aussi été sporadique, les accrochages survenaient de temps à autre, mais tout a commencé vraiment lorsque, comme par miracle des snipers ont apparus sur le toit de l'hôtel "Holiday Inn" et ont tiré sur les gens réunis pour manifester contre la guerre.
Par une quelconque inertie, ce sont des Serbes qui y ont été accusés, mais aucune preuve n'en a jamais été fournie. Au Maïdan (à Kiev, ndlr.), il a été prouvé que c'étaient des combattants de l'organisation Black Waters, et la conversation entre le ministre estonien de l’Intérieur et Catherine Ashton a apporté des preuves concernant l’identité des gens qui avaient tiré sur des activistes du Maïdan et les forces de l'ordre. Ainsi, il existe une force dans le monde qui considère la guerre comme l'unique et véritable générateur de ce cercle dont j'ai parlé. Ainsi, à propos de l'Ukraine, nous savons tous qu'il existe au moins depuis 1945 des groupes armées spéciaux qui organisent des émeutes dans tous les coins du monde, et l’intensité de ces émeutes en Irak, en Syrie, lors des printemps arabes et chez Kadhafi constitue un facteur inquiétant qui nous fait entrer dans une phase très critique ».
Inutile de préciser que cette pensée qui défrise l’anticonformisme conformiste auquel nous ont habitués les médias et penseurs « mainstream » nourrit en grande partie la défiance de certaines critiques envers Emir Kusturica, hors toute considération « cinématographique » pure. Raison de plus pour voir ou revoir certaines de ses œuvres, à commencer par « On the Milky Road ».:
Horaires de projection dans notre région :
Vendredi 21 juillet
Le Royal - Biarritz – 14h et 18h
Le Sélect - Saint-Jean-de-Luz – 19h15
Le Saleys – Salies de Béarn – 18h30
Samedi 22 juillet
Le Royal - Biarritz – 19h20 et 21h35
Le Sélect - Saint-Jean-de-Luz – 22 h
Le Saleys – Salies de Béarn – 18h30
Dimanche 23 juillet :
Le Royal - Biarritz – 15h55 et 20h10
Le Sélect - Saint-Jean-de-Luz – 19h15
Le Saleys – Salies de Béarn – 21h
Alexandre de La Cerda