Michel Déon n’est plus. La presse « main stream » ne peut ignorer « son élection en 1978 au fauteuil de Jean Rostand » parmi les Immortels, ni ses « prix Interallié en 1970 et Grand prix de l'Académie française en 1973 », pas plus que ses romans à succès – « Les Poneys sauvages » et « Un taxi mauve » ; encore, à la rigueur, qu’il comptait parmi les célèbres « Hussards » de la littérature, avec Roger Nimier, Antoine Blondin et Jacques Laurent, écrivains aussi courageux qu’irréductibles à la pensée sartrienne, laquelle avait colonisé à cette époque la plupart des allées « intellectuelles » depuis les dominantes terrasses germanopratines… Oh, là, ça commence à sentir le soufre, et le journaliste de service à France Inter de mettre en garde, ce matin, ses auditeurs : « En revanche, Michel Déon a toujours professé des idées monarchistes »…
Dans une de ses cartes datée du 10 juillet 2012 dans sa propriété irlandaise d’« Old Rectory » à Tynagh, ne m’avouait-il pas « avoir gardé au fond du cœur ses souvenirs » de cette période : « De 1942 à août 1944, j’ai eu l’honneur de travailler pour Maurras, comme secrétaire de rédaction du quotidien (l’Action Française », ndlr.). Je pense avoir été le dernier à le voir en liberté. Dans mon bureau ici, j’ai une exquise gravure de lui, jeune, très beau, pas trop sérieux, regardant sans doute avec quelque appétit, la dame qui le dessinait »…
Incorrigible « Jeune Homme Vert » !
D’autant plus que Michel Déon me relatait encore dans cette même carte « un moment de sa vie assez aventureux (et pour des raisons de cœur !) » lorsqu’il avait « beaucoup séjourné à Saint-Jean-de-Luz et ses environs, j’étais trop occupé par un charmant présent, pour tout voir, j’ai quand même beaucoup circulé et découvre, grâce à vous, ce que j’ai manqué de meilleur ».
Cette redécouverte du Pays Basque à propos de mon livre « Les Histoires extraordinaires du Pays Basque » qu’il avait eu « le temps de lire, de retour dans son havre », et qu’il avait grandement apprécié : « Ces beaux textes accompagnés de superbes images judicieusement mises en page par votre éditeur »...
Michel Déon avait également beaucoup apprécié « le bel article que vous m’avez consacré. Vous me faites vraiment plaisir, et vous dites tout avec bonheur ».
C’était lors de notre rencontre sur le « Belem » qui avait fait relâche à Bayonne en attirant sur le Quai Edmond Foy plusieurs milliers de passionnés de la mer. Egalement de nombreux amateurs des Belles Lettres, grâce à la réunion annuelle des Ecrivains de Marine où Michel Déon avait rejoint Didier Decoin, leur président, ainsi que Sylvain Tesson, nouvel « entrant », Isabelle Autissier, Yann Quéfellec, Patrick Poivre d'Arvor, etc.
Nous nous étions échangés nos ouvrages respectifs et, en me dédicaçant « ces œuvres (presque) complètes » parues dans la collection Quarto de chez Gallimard, Michel Déon avait ajouté de sa plume fine et sûre : « une longue vie à bourlinguer, rêver, parfois se venger, plus souvent à écrire ». Presque une confession, me demandai-je alors, en écrivant les lignes qui suivent pour l’hebdomadaire régional : « à (presque) 93 ans, le temps n'avait décidément aucune prise sur l’auteur des « Poneys sauvages » et du « Taxi mauve » qui reste l’éternel « jeune homme vert » dont les romans administrent toujours ce « coups de fouet » salutaire particulièrement rare aujourd’hui. Une vigueur qui est peut-être due à l'air pur du comté de Galway. Dans son ancien presbytère transformé en haras où son épouse élève des chevaux dont sont friands, paraît-il, les Américains, Michel Déon, toujours amoureux d'un français au sommet de sa perfection, soigne ses beaux livres dont il apprécie, dans leur reliure d’origine, « le papier rare, la clarté des mises en page et la typographie élégante ».
« Comme une maison sans livres est une maison sans âme, un homme sans livres est un homme sans âme », avait-il remarqué dans un texte pour la librairie Gallimard intitulé « De la complicité des livres »…
L'œil pétillant au détour d’un trait d'humour, l’écrivain toujours fidèle aux idées et aux compagnons de sa jeunesse leur prodigue volontiers des témoignages d'amitié, telles ces « Lettres de château que l'on adressait à ceux qui vous avaient bien reçu, au temps où la démocratie n'avait pas encore fait disparaitre la politesse ». Soit, le panthéon d'une civilisation classique qui subsiste lorsque l’on a beaucoup lu et (presque) tout oublié, auquel il associe une nouvelle génération d’écrivains. Michel Déon semble y déceler des éléments plus prometteurs, après un creux « existentialiste » de quelques décennies qui a « tourné en rond ».
A vrai dire, il n’y avait pas que les « belles-lettres »… L’œil de Michel Déon – il affirmait volontiers que « Les buveurs d'eau lui étaient suspects » - pétillait également en présence d’une bonne bouteille, et il avait beaucoup apprécié les millésimes de mon « château Miller La Cerda » que je lui avais envoyés dans sa retraite irlandaise !
Iles de roman et d’aventure
Avec les livres, ce sont les îles qui occupent la vie de Michel Déon. Après l’île grecque de Spetsai, certes inondée de soleil méditerranéen mais déflorée par un immobilier galopant, c’est en Irlande qu’il s’est fixé depuis près de quarante ans, en famille, avec son épouse et ses enfants Alice et Alexandre. Pourquoi l’Irlande ? Il « n’en sait rien, au juste ». Peut-être, « une envie, murie depuis longtemps, un obscur besoin de pluie, de vent, de prairies vertes, l’attrait que peuvent exercer une terre mouillée, de vastes paysages, la présence de l’Océan et le bruit sourd, continu de la houle se brisant sur les falaises de Moher. L’Europe s’achève ici, plus loin, c’est l’aventure. Il arrive que l’on aime toucher du doigt à ses limites et laisser grandir en soi de vieux rêves »…
Où la tentation d’aventure rejoint celle de la littérature, depuis l’inspiration de ses « Poneys sauvages » et du « Taxi mauve ».
Elle ne date pas d’aujourd’hui, cette attirance de Michel Déon pour les îles, « des bouées de sauvetage dans la solitude des mers terribles ». Ne s’était-il point « longtemps promené d'île en île » avec, dans sa tête, une phrase de Paul Morand (écrite en 1927) : « les îles seront peut-être le refuge des dernières aristocraties alors que les continents vont être écrasés sous les masses » ?
Or, presque deux siècles auparavant, Arnauld-Michel d'Abbadie, fils de notaire royal et maître de la maison abbatiale d'Arrast dans la province basque de Soule ne s’était-il pas réfugié dans la catholique Irlande afin de fuir les exactions de la révolution de 1789 ? Ce « poney sauvage » avant la lettre, âgé de vingt et un ans, s’y maria avec une fille du pays et reconstitua sa fortune en fournissant des armes à la France napoléonienne via le port de Bilbao sur les navires de son beau-père irlandais. Mais il n’oubliera pas son Pays Basque d’origine et il suscitera l'intérêt de ses fils pour les études basques. De ses trois fils, l'aîné, Antoine, sera le savant astronome et explorateur de l’Ethiopie avant de construire à Hendaye ce manoir de style néo-gothique irlandais nommé « Abbadia » qu’il laissera à l’Académie des Sciences dont il avait été le président. On peut rêver que Michel Déon en recompose un jour le roman, lui dont Félicien Marceau, son ami, avait un jour écrit : « Le galop dans la vie et le trot dans l'écriture », soit une éternelle chevauchée vers le bonheur de vivre et la beauté » !
Alexandre de La Cerda