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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 983 mots

La critique de Jean-Louis Requena

Ma vie avec John F. Donovan - Film canadien de Xavier Nolan 123

Un jeune acteur, Rupert Turner (Ben Schnetzer, adulte), se remémore sa vie denfant surdoué, passionné par des séries télévisées. Fan absolu, il envoyait des lettres au héros de sa série préférée : John F. Donovan (Kit Harington). Enfant, Rupert (Jacob Tremblay à 11 ans) vivait alors à Londres avec sa mère, Sam Turner (Nathalie Portman), courrait les castings et subissait la dure loi dune « public school ». Le héros de son enfance John F. Donovan, lui aussi « couvé » par une mère possessive, Grace Donovan (Susan Sarandon) a disparu en pleine gloire, tragiquement happé par le show business, en proie à son mal de vivre : il masquait, autant que faire se peut, son homosexualité.

Le récit cinématographique met en miroir, à une décennie dintervalle, les destinées de ces deux protagonistes reliés par la correspondance et immergés tous deux dans un environnement toxique familial et professionnel.

Le septième film du québécois Xavier Nolan (30 ans) agrège dans un flux dimages souligné par une voix off omniprésente, en particulier dans les premières scènes, des récits qui se croisent sur deux époques, deux continents, avec des axes chronologiques différents. La première demi-heure du long métrage du « prodige québécois » est éprouvante, car le montage court conjugué à lapparition de nombreux personnages sur l’écran où toute temporalité a été abolie nous plonge dans la confusion : qui est qui ? Pour son premier film en langue anglaise (le jeune metteur en scène est parfaitement bilingue), Xavier Nolan a vu trop grand, trop large avec un scénario par trop ambitieux. Du coup, il a eu beaucoup de difficultés (près de deux ans !) pour « contenir » son film à une durée de deux heures au lieu des quatre heures initialement prévues. Cest un péché de jeunesse que lauteur reconnaît sans détour : des interprètes et non des moindres (Jessica Chastain) ont disparu du montage final. De fait, son film paraît par moment bancal, de guingois, avec des « trous » dans le déroulé de lhistoire.

Dès son premier opus « Jai tue ma mère » (2009) présenté à la XVème Quinzaine des réalisateurs à Cannes, Xavier Nolan a bénéficié dune presse favorable, y compris pour ses œuvres suivantes, « Les Amours imaginaires » (2010), « Laurence Anyways » (2012), « Mommy » (2014, Prix du Jury au Festival de Cannes, ex-aequo avec « lAdieu au langage » de Jean-Luc Godard) : il a la « carte », selon la célèbre définition de Philippe Noiret. Son opus suivant, « Juste la fin du monde » (2016) reçoit le Grand Prix du Festival de Cannes et trois Césars 2017, dont celui du Meilleur Réalisateur.

Il nen demeure pas moins que son avant-dernier ouvrage livré au grand public (il a depuis, tourné un autre film : « Matthias et Maxime ») intègre par moments des fulgurances de mise en scène (Rupert et sa mère, la boîte de nuit, etc.), mais aussi des redites paradoxales pour un long métrage réduit de moitié lors du « final cut ». Xavier Nolan reprend de film en film ses thèmes de prédilection : rapport fusionnel et conflictuel avec la mère, absence totale du père, homosexualité, déception amoureuse, conflit avec les proches, etc. Après tout pourquoi pas : les grands réalisateurs ne font-ils pas toujours le même film dans des genres différents (drame, policier, comédie, western, etc.). Cela suffit à construire une œuvre et à lui donner une cohérence à posteriori.

Toutefois, avec « Ma vie avec F. Donovan », le jeune réalisateur a été submergé par ses thématiques quil na pas su, ou pu, canaliser. Doté dun gros budget, il a en quelque sorte poussé les limites des possibles cinématographiques : on peut tout exprimer tant que le spectateur est intéressé par lhistoire, fut-elle fragmentée à lextrême. Xavier Nolan na pas réussi a combler totalement dans la durée du film (2 h 3, choisie ou imposée ?) les impasses narratives qui font que les personnages secondaires saccumulent sur l’écran sans prendre vie (la journaliste, lami de John F. Donovan, etc.).

Nous attendons sa prochaine œuvre (« Matthias et Maxime ») qui, selon la rumeur, semblerait plus adaptée a ses moyens cinématographique (scénario, langue, budget, etc.).

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