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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena

| Jean-Louis Requena 651 mots

La critique de Jean-Louis Requena

« Les Parfums » - Film français de Grégory Magne – 100’

Guillaume Favre (Grégory Montel) est un jeune père divorcé qui tente maladroitement de négocier la garde alternée de sa fille. Sa situation est peu reluisante : il habite un minuscule studio, il est chauffeur de maître dans une petite entreprise. De surcroît, Arsène (Gustave Kerven) son patron au look mafieux, terré au fond d’un établissement chinois, le menace de licenciement : il ne lui reste plus que trois points sur son permis de conduire. Règlementairement, c’est la porte ! Magnanime, Arsène lui redonne une dernière chance : convoyer en province mademoiselle Anne Walberg (Emmanuelle Devos) qui a déjà récusé trois chauffeurs de la compagnie. Guillaume acculé n’a pas le choix…

Mademoiselle Walberg n’est pas d’un abord facile : elle est quelque peu énigmatique, arrogante, méprisante. Son chauffeur occasionnel, Guillaume, n’est que son homme à tout faire, son valet de pied. Guillaume s’insurge, mais transporte ses énormes valises, apprête sa chambre d’hôtel, veille à satisfaire ses caprices, mais c’est trop pour lui malgré sa situation précaire… D’autre part, il est intrigué par le métier de Mademoiselle Walberg : c’est un « nez » autrefois très recherché. Son métier d’alors : créer pour de grandes enseignes des fragrances, des parfums, aux renoms internationaux. Mais Mademoiselle Walberg est descendue de son piédestal : elle accomplit des interventions ponctuelles, inintéressantes au regard de son passé professionnel, sous la férule de Léa (Zélie Rixhon).

Au gré des opérations commanditées par Léa, Mademoiselle Walberg toujours aussi peu aimable sillonne la France avec son chauffeur Guillaume qui résiste de son mieux au comportement irascible de sa passagère…

Les Parfums (100’) est structuré autour de la dialectique, maintes fois décrite, du maître et de l’esclave : au théâtre, Maître Puntila et son valet Matti (1948) de Bertolt Brecht ; au cinéma, Les Lumières de la ville (1931) de Charlie Chaplin et tout récemment Green Book : Sur les routes du sud (2019) de Peter Farrelly. Le couple dissemblable, « mal appareillé », que tout oppose (sexe, classe sociale, caractère, etc.) est un « pont aux ânes » du cinéma mondial. D’innombrables longs métrages ont été fabriqués sur la base de ce concept éculé. C’est un moteur scénaristique simple, à deux pistons : le bon et le méchant, l’ingénue et le libertin, le nanti(e) et le démuni(e), etc. Pour son second long métrage, le réalisateur/scénariste Gregory Magne évite le piège (facile) du formatage de ce type de duos. Bien qu’il ne puisse échapper à quelques scènes attendues, il y en plusieurs d’inattendues, induites par le métier d’Anne Walberg, par sa personnalité de femme déchue, frustrée, à la limite du renoncement. Le couple classique dominant(e) /dominé(e) échappe aux poncifs attendus d’une comédie banale par la résistance, la fougue opiniâtre du chauffeur Guillaume qui ne comprend pas les subtilités (des fragrances, des hiérarchies, des cultures, etc.) mais fonce sans se démonter vers un but (à découvrir !).

Le cinéma français qui a produit, coproduit, ou participé à quelques 300 longs métrages en 2019, nous propose en général des comédies (près d’une centaine !) peu subtiles, voire indigentes, aux scénarios convenus, interprétés par des acteurs perpétuant leurs « numéros huilés ». C’est ainsi car ce modèle économique, sans trop de risque, fonctionne : dans le timing de diffusion règlementaire, le long métrage entrelardé de plages publicitaires, fera le bonheur des chaines généralistes. Alors à quoi bon se priver ?

Grégory Magne, cinéaste décalé (en 2007, il a traversé l’Atlantique en solitaire sur un voilier de 6,5m pour en faire un documentaire : Vingt quatre heures par jour de mer) nous propose une comédie de mœurs, Les Parfums, au-dessus du niveau habituel de flottaison du cinéma français de ce genre décrié. Les acteurs principaux Emmanuelle Devos (Anne Walberg), Grégory Montel (Guillaume Favre) et dans une courte scène Sergi Lopez (Patrick Ballester) jouent leurs partitions avec un humour distancé peu courant dans les comédies hexagonales aux effets soulignés.

Les Parfums est une comédie attachante, plus profonde qu’il n’y paraît, à voir au sortir du confinement.

Jean-Louis Requena

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