Le Caire, janvier 2011. Dans un hôtel de luxe, une femme, chanteuse tunisienne connue, est retrouvé assassinée. Peu d’indices. Toutefois, une femme de chambre d’origine sénégalaise, Salwa (Mari Malek) a entraperçu deux hommes sortants de la chambre où a eu lieu le crime. Un commissaire débonnaire envoie son neveu, Noureddine Mostafa (Farés Fares), enquêter sur place. Lorsque ce dernier arrive sur la scène du crime, toute une cohorte de policiers est déjà sur place, privilégiant la thèse du suicide, ce qu’un rapide examen de Noureddine infirme. Le gérant de l’hôtel ne veut pas d’histoire et donne discrètement un bakchich au flic vétilleux : c’est la coutume. Affaire classée. Mais Noureddine poursuit ses investigations. Rapidement, il soupçonne un riche député, entrepreneur immobilier, proche du pouvoir détenu depuis trente ans (1981) par le président Hosni Moubarak.
Par son entêtement, ce flic solitaire, alcoolisé, corrompu, remonte laborieusement le fil de l’intrigue qui sert de prétexte à la froide analyse d’une strate de privilégiés de la société égyptienne, corrompue à tous égards, gangrenée par l’argent facile. La concussion est généralisée. Une scène est éloquente : Noureddine donne un bakchich à un flic de quartier parce qu’il est sorti, dans le cadre de son enquête policière, de la juridiction de son commissariat. Les liasses de livres égyptiennes circulent ainsi de mains en mains, constituant dans ce pays - à tous niveaux - l’essentiel des rapports humains entre détenteurs de pouvoirs et administrés. C’est la onzième plaie d’Egypte !
L’intrigue, somme toute secondaire à la manière des « polars » de Raymond Chandler (« Le Grand Sommeil », « Adieu ma Jolie », etc.) est prétexte à traverser les différentes couches de cette société protéiforme. D’autant que toutes les virées nocturnes de Noureddine se font dans une mégalopole bruissante (16 millions d’habitants !) livrée aux premiers soubresauts du « Printemps Arabe » qui conduira à la destitution du président/général Hosni Moubarak en février 2011. L’enquête s’achèvera, se diluera au final, dans le premier grand rassemblement de la place Tahir, prélude à de grands bouleversements politiques.
Il faut noter que l’Egypte est le pays musulman (majorité sunnite) d’Afrique le plus peuplé (92 millions !) qui a quasiment quadruplé sa population en 50 ans. La jeunesse (moins de 25 ans), majoritaire, est maintenue enserrée dans les mailles des régimes politiques, pour le moins autoritaires, qui se sont succédé, sous peu de variantes, depuis 50 ans.
Par ce long métrage, primé au Festival de Sundance 2017 (USA – Utah) et au Festival du film policier de Beaune 2017 (Grand Prix), son réalisateur Tarik Saleh (45 ans), producteur d’origine égyptienne né à Stockholm, porte sur le pays de ses ancêtres un regard lucide et sans concessions. D’ailleurs, le film n’avait pu être tourné sur les lieux même de l’histoire, en Egypte, mais au Maroc à Casablanca. Par la grâce d’une mise en image nerveuse, souvent nocturne, Tarik Saleh outrepasse ces contraintes et nous livre un récit à la fois fluide dans son illustration et chaotique dans son propos.
Les grands thrillers américains qui, à l’évidence, l’ont nourri, servent encore ici de modèle à ce genre particulier, cinématographiquement épatant, qui permet, par le trajet dans l’espace et le temps de l’enquête, de traverser les couches de la société, de la décrire dans ses forces et ses faiblesses.
Un film à voir pour percevoir la complexité d’un monde difficile, l’Egypte, si proche et si lointain.
Jean-Louis Requena