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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 534 mots

La critique de Jean-Louis Requena

Que dios nos perdone - Film espagnol de Rodrigo Sorogoyen – 127’

Les films de genre policier sont légion dans l’histoire du cinéma mondial. Les scénaristes, plus ou moins habiles, opposent deux policiers lors d’une enquête criminelle : le « good boy » et le « bad boy». Cette matrice dramatique, dans le récit cinématographique, a été usée au-delà du raisonnable. Mais dans ce film, son jeune réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen (35 ans !), également coscénariste, ainsi qu’Isabel Peña qui lui a apporté son concours, ont magistralement amélioré une trame narrative archi convenue.

En effet, les deux enquêteurs, Javier Alfaro (Roberto Alamo) fort en gueule, incontrôlable, violent, travaille de concert avec Luis Velarde (Antonio de la Torre), homme discret, besogneux, bègue de surcroît. C’est ce binôme improbable qui, pendant l’été 2011 à Madrid, mène une enquête, sans cesse entravée, en pleine crise économique (manifestations des « indignés » à la Puerta del Sol), politique (crise gouvernementale), et dans l’agitation précédant l’arrivée du Pape Benoît XVI en Espagne (Journées Mondiale de la Jeunesse - JMJ).

Dans ce chaos, par une chaleur étouffante comme en connaît la capitale ibérique, les deux inspecteurs cherchent un tueur en série de vieilles dames dans un vieux quartier au cœur de la ville. La longue traque d’un meurtrier intelligent sert de « fil rouge » à ce troisième film du réalisateur/coscénariste qui multiplie astucieusement les scènes autour de vies privées compliquées (séparation douloureuse, solitude) des deux policiers. De fait, le film gagne en épaisseur dramatique, voire ironique, d’autant qu’à la moitié du récit, le metteur en scène change radicalement de méthode de filmage : aux scènes d’enquête, de poursuites caméra à l’épaule, succède une mise en image sage, maîtrisée, cadrée, que contredit la violence alors affichée sur l’écran.

Rodrigo Sorogoyen domine parfaitement son propos : la violence exercée par le meurtrier sur de vieilles dames sans défense contamine les personnages qui le traquent. Ce procédé scénaristique a déjà été utilisé dans « Seven » (1996) et « Zodiac » (2007) de David Fincher, que le réalisateur espagnol cite dans son film. Cependant, ce dernier enrichit son propos par des expositions scéniques sur l’enracinement sociétal des deux inspecteurs, leurs parcours hors service, lesquels renforcent la cohésion du propos, l’adhésion du spectateur, sans toutefois l’égarer dans le déroulé de l’intrigue.

Le cinéma de genre espagnol, ici policier, nous a ravis ces derniers temps, avec « La Isla Minima » (2014) d’Alberto Rodriguez, « La Colère d’un Homme patient » (2016) de Raul Arevalo. Celui-ci est tout aussi maitrisé que les deux longs métrages que nous venons de citer. Pourtant, le cinéma espagnol ne se porte pas bien : prix des billets trop chers, piratages en tous genres, inintérêt de la classe politique pour cette industrie, prédominance des films américains qui encombrent les écrans ibériques au détriment des films espagnols de qualité.

Ce long métrage a toutefois été récompensé au dernier Festival de San Sébastian (Prix du meilleur scénario) et Roberto Alamo, grand comédien de théâtre, a obtenu le Goya 2016 (équivalent espagnol de nos Césars).

Un film haletant à la structure narrative déroutante, au bon sens du terme (c’est la promesse !). Un nouveau talent de ce jeune cinéma ibérique qui mérite largement son exposition sur nos écrans.

Jean-Louis Requena

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