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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 641 mots

La critique de Jean-Louis Requena

Peggy Guggenheim, la collectionneuse - Film américain de Lisa Immordino Vreeland – 96’

Dans les années 70, Peggy GUGGENHEIM (1898 – 1979) était universellement connue. Avec son « look » invraisemblable, visage goyesque résultant d’une opération esthétique ratée, barré d’une paire de lunettes baroque, elle vaquait dans son palazzo vénitien poursuivie par une nuée de petits chiens. En 1949, elle avait acheté le Palazzo Vernier dei Leoni inachevé depuis le XVIIIème siècle. Il n’a pas d’étage, ce qui est une curiosité à Venise, et porte le surnom, pour les vénitiens, de « palazzo incompiuto » (pas achevé !). Après de longs travaux, elle installe toute sa collection d’œuvres d’art moderne qu’elle ouvre au public en 1951.

Ce Palazzo, diffèrent de ceux qui l’environnent sur le « Canal Grande », est de nos jours très visité malgré le peu d’œuvres présentes dans les appartements de Peggy. Cependant, celles-ci sont de premier ordre : Le cubisme avec Pablo PICASSO, Albert GLEIZES, Georges BRAQUE, Marcel DUCHAMP, les surréalistes, Paul DELVAUX, Salvador DALI, Max ERNST (son dernier mari), De CHIRICO, Yves TANGUY, etc… Peggy qui n’avait fait que de médiocres études a, en dépit d ‘une vie tumultueuse, affirmé un goût très sûr pour les œuvres artistiques de son temps.

Par ailleurs, Peggy GUGGENHEIM, issue d’une lignée de familles juives très riches de New-York (GUGGEMHEIM et SELIGMAN), semble dépourvue de surmoi. En 1946, à 48 ans, elle publie la première mouture de ses mémoires, réaménagées et plus explicites en 1960 : « Out of this Century, confessions of an Art Addict », malheureusement traduit dans notre langue sous le titre « Ma vie et mes folies » (PERRIN éditeur – 2004). La lecture de ce livre est stupéfiante, tant la narratrice ne cache rien de sa course effrénée aux plaisirs de toutes sortes, alcool à outrance, sexe débridé, amours/amitiés torturés, voyages chaotiques à travers l’Europe et aux Etats-Unis avant de se « poser » en 1948 à Venise, à 50 ans. Elle avait joui de tous les plaisirs que l’argent, les compagnons et compagnes cultivés, décadents (que d’alcooliques !) pouvaient lui procurer.

Miraculeusement, des cassettes audio de ses longues conversations avec sa biographe, Jacqueline BOGRAD, ont été retrouvées, et c’est elles qui, en voix off, servent de trame au récit de la vie peu banale, c’est un euphémisme, de Peggy GUGGENHEIM. Aux questions posées par sa biographe, Peggy répond d’une façon franche, directe, sans détour. A l’époque de ces longs entretiens, Peggy avait déjà tout dit dans ses mémoires. Du coup, dans le film, les autres intervenants semblent rebondir, sans dissonances notables, sur les propos de l’interviewée et le film se déroule sans heurt, loin de toute hagiographie. Il y puise sa propre dynamique.

Cette mise en images archives/contemporaines est intéressante, car nous suivons le labyrinthe émotionnel et artistique de Peggy qui a connu tant de gens important pour l’art moderne : des écrivains (Jean COCTEAU, André BRETON, Samuel BECKETT), des peintres déjà cités et d’autres tout aussi importants, Mark ROTHKO, Jackson POLLOCK - qu’elle longuement soutenu financièrement - et des sculpteurs : Constantin BRANCUSI, Alberto GIACOMMETTI, etc… La liste serait trop longue.

Son œuvre novatrice pour l’époque où un seul mécène pouvait rassembler tant de chefs-d’œuvre avec peu d’argent (elle aurait dépensé en tout 40.000 dollars de l’époque pour acquérir toutes ses œuvres d’art !). C’était avant l’emballement du marché de l’art alors inexistant. Peggy nous relate son cheminement esthétique maitrisé à l’encontre d’une vie agitée, encombrée de drames et de réconciliations.

Au Palazzo Vernier dei Leoni, le cavalier de bronze de Marino MARINI qui regarde le « Canal Grande », monte un cheval doté d’un phallus amovible que Peggy GUGGENHEIM s’empressait de retirer lors de visites protocolaires. Il doit bien sourire de ce parcours de vie ou l’art moderne a tenu lieu de viatique.

Un film documentaire à voir sur une personnalité attachante, hors du commun.

Jean-Louis Requena

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