La Villa - Film français de Robert Guédiguian – 107’
Robert Guédiguian (64 ans) nous livre son 20ème film, « La Villa », depuis ses débuts comme réalisateur en 1980 (Dernier Eté). A deux exceptions près (« Le Promeneur du Champs de Mars » – 2005 et « L’Armée du Crime » - 2009), ses longs métrages se déroulent invariablement dans la région de Marseille, et plus particulièrement autour de l’Estaque. Il scrute sans cesse ce microcosme particulier avec la même tribu d’acteurs, Ariane Ascaride, sa femme dans la vie, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, les mêmes techniciens (chef opérateur, ingénieur du son, monteur, etc.). Il travaille en communauté, sorte de phalanstère ouvrière qui lui convient : c’est un modèle artistique augmenté d’un modèle économique car il est son propre producteur au sein d’une coopérative (Agat films & Cie).
Robert Guédiguian a connu le succès public (2,7 millions d’entrées en France) et artistique (Prix un « Certain Regard » au Festival de Cannes, César meilleure actrice pour Ariane Ascaride) en 1997 grâce à son opus magnum à ce jour, « Marius et Jeannette ». Homme de gauche assumé, il trace depuis ses débuts le même sillon « ouvriériste » sans jamais se départir de sa foi en l’avenir à jamais radieux sans…les importuns (les riches, les nantis, les bourgeois, etc.) qui gâchent tout. Il y a quelque chose de touchant dans cette gentille utopie ( ?), cette heureuse névrose… La classe ouvrière, bloc historique, même fissurée, piétinée, ira au paradis !
Près de Marseille, dans une belle villa de la Calanque de Méjan, un homme âgé est victime d’un AVC. Ses enfants accourent à son chevet : Armand (Gérard Meylan), son fils aîné qui maintient le restaurant « ouvrier et bon » autrefois tenu par son père, Joseph (Jean-Pierre Darroussin), ex-enseignant, écrivain en cale sèche accompagné de sa jeune amie Bérangère (Anaïs Demoustier), et enfin sa fille Angèle (Ariane Ascaride), actrice de renom qui n’est pas venue sur les lieux depuis qu’un drame familial a déchiré le tissus familial. Faut-il mettre le père dans une maison de repos et vendre la villa ? La trame scénaristique a quelques ressemblances, revendiquées, avec la pièce d’Anton Tchekhov « La Cerisaie ». Gravitent autour de ces personnages d’autres, secondaires, nécessaires à l’intrigue, qui font dévider l’écheveau familial : un couple de voisins âgés, amis du patriarche, leur fils manageur de laboratoires, un jeune qui pratique la pêche côtière, et enfin, l’arrivée inopinée d’immigrants qui bouleversent l’équilibre familial : que faire d’eux, les accueillir, les dénoncer ?
Tout en restant dans son couloir idéologique, Robert Guédiguian, coscénariste de son long métrage avec Serge Valletti, nous propose une fable humaniste sur les rapports humains, leurs contradictions, leurs étrangetés, leurs distorsions au fil du temps. Par de courtes saynètes qui s’enchainent rapidement, il crée un continuum troué par des moments de grâce dans le décor bucolique d’un petit port de pêche hors du temps. Des plans magiques, paisibles, que vient perturber un train bruyant qui passe au-dessus de cette calanque par un pont monumental enjambant la « vallée heureuse ».
Malgré les citations en sous-texte (Anton Tchekhov, Berthold Brecht), Robert Guédiguian ne nous égare pas dans des théories et privilégie le cadre, le jeu subtil des acteurs qu’il connaît si bien. L’écriture scénaristique de son film, sa mise en image (chef opérateur Pierre Milon) ressemblent à une partition musicale à multiples variations autour de quelques thèmes convenus (la famille, l’amour filial ou non, la fraternité, la beauté du monde, etc.).
« La Villa » est le film français à voir pour ce cinéaste attachant qui s’est renouvelé sans se renier, et également pour sa troupe de magnifiques acteurs qui depuis 30 ans, film après film, reste fidèle à leur mentor.
Jean-Louis Requena