Pentagon Papers - Film américain de Steven Spielberg – 115’
Dès la séquence d’ouverture, la guerre du Vietnam éclate sur l’écran : fusillades nourries, bombardements, ballets d’hélicoptères, etc. Ce sont des images familières dont nous avons été abreuvés durant des années lors de cette longue guerre (1965-1975), la plus médiatisée du monde. Nous sommes en 1971, un an après l’accession au pouvoir de Richard Nixon, 37ème Président des Etats-Unis, qui a hérité de ce conflit dont il ne sait comment y mettre terme. Un homme sur sa machine à écrire portative, tape un rapport qui viendra s’insérer dans l’énorme document de 7.000 pages qui décrit les relations complexes, ambiguës, entre les Etats-Unis et le Vietnam de 1945 à 1967. Ce rédacteur consciencieux est Daniel Ellsberg, analyste pour la Rand Corporation. Au cours du vol de retour du Vietnam et un court échange avec Robert McNamara, Secrétaire d’Etat à la Défense, il comprend que l’administration Nixon ne commandera pas le retrait des troupes américaines malgré ses échecs successifs dans la conduite de la guerre. Il prend la décision, aidé de quelques amis, de photocopier l’ensemble du dossier les « Pentagon Papers » pour le communiquer à la presse américaine.
Daniel Ellsberg qui peut être considéré comme le premier lanceur d’alerte de l’histoire contemporaine, communique le dossier au « New-York Times », le plus important quotidien des Etats-Unis. Les premiers articles paraissent début 1971 et accélèrent la défiance du public envers l’administration Nixon. A Washington, un rédacteur en chef énergique du « Washington Post » Ben Bradlee (Tom Hanks) cherche par tous les moyens à avoir accès à ce dossier explosif. Son journal traverse une crise économique doublé d’un problème de gouvernance : la propriétaire Kay Graham (Meryl Streep), héritière du journal à la mort de son mari, s’interroge sur le devenir de celui-ci. Faut-il tenter une entrée en bourse pour consolider son capital ? C’est une femme effacée, affable, de la haute bourgeoisie washingtonienne, qui n’a aucune connaissance du monde du business et vit comme un supplice les conseils d’administration de son journal. Les co-scénariste Liz Hannah et Josh Singer ont mélangé astucieusement deux histoires dans le même film : Les mensonges d’Etat et la conséquence de leur révélation au public américain par des journaux, ainsi que l’éclosion d’une femme en chef d’entreprise, alors que rien ne la prédisposait à ce rôle exposé.
Le 35ème long métrage de Steven Spielberg tourné en 10 semaines, ce qui est très court pour un film de ce budget, a manifestement puisé son énergie dans la vitesse de sa fabrication. De nombreux plans séquences, très fluides, dans les locaux du journal, dans la maison de Kay Graham, puis dans celle de Ben Bradlee, lors du décryptage avec ses collaborateurs de l’énorme dossier secret. La scène ou Kay Graham, acculée par trois interlocuteurs véhéments à prendre parti, est l’acmé du film. Toute l’intelligence cinématographique du réalisateur y est condensée. La caméra se métamorphose en scrutateur impitoyable par la grâce d’un mouvement complexe ascensionnel de celle-ci puis s’arrête sur le visage de Kay Graham en gros plan et légère contreplongée. C’est du cinéma d’action !
Le film de près de deux heures est très bavard mais, par sa mise en image dynamique, inventive (longs plans séquence à la steadicam), garde une force motrice propre qui ne faiblit pas. Avec sa propre grammaire cinématographique, Steven Spielberg égale les grands maîtres du cinéma hollywoodien (Frank Capra, Joseph L. Mankiewicz) et les rejoint dans leur humanisme. En attendant son prochain opus (Ready Player One) tourné avant ce film - mais en post production pour cause d’effets spéciaux -, le réalisateur nous avait déjà proposé deux longs métrages dans la veine humaniste : « Lincoln » (2012) et plus récemment le « Pont aux Espions » (2015). Surnommé « The Entertainment King » (Roi du Divertissement !) parce qu’il demeure à ce jour le cinéaste le plus rentable de l’histoire du 7ème art, Steven Spielberg a exposé depuis les années 90 sa passion pour l’humanité sous toutes ses formes. A 71 ans, après 35 films dont quelques chefs-d’œuvre, il démontre à nouveau son amour du cinéma et demeure, quoique l’on dise, un fabuleux raconteur d’histoire.
Jean-Louis Requena