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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
© Jay L. Clendenin / Los Angeles Times

| Jean-Louis Requena 563 mots

La critique de Jean-Louis Requena

Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot - Film américain de Gus Van Sant – 113’

Dans une salle de spectacle, un homme derrière un pupitre improvise un discours interrompu par les rires de l’assistance. Cet homme, c’est John Callahan (1951-2010) assis sur un fauteuil roulant, tétraplégique. C’est un dessinateur humoristique reconnu depuis le début des années 1980, au trait féroce, sans indulgence, qui décrit la société américaine à la recherche d’elle-même, de ses valeurs perdues. Avant de devenir dessinateur pour des journaux confidentiels, puis très connus (The Village Voice, Playboy, etc.) John Callahan natif de Portland (Oregon) a eu une jeunesse fracassée, abandonné par ses parents biologiques dans un environnement « familial » hostile. Devenu alcoolique à l’âge de 12 ans, il traine son mal-être jusqu'à son accident de voiture, une nuit de beuverie, qui le laisse paralysé à 21 ans. Il survit dans un petit appartement, ou dépendant des autres, sur son fauteuil roulant électrique, il enrage, désespère, fume, boit plus que de raison quand une bouteille reste à sa portée (pas facile !).

John Callahan s’autodétruit avec application !

Après une énième crise éthylique, il décide de suivre une thérapie chez les « Alcooliques Anonymes » tout en gardant en lui sa rage, sa fureur de vivre. Dans son fauteuil roulant, survolté, il parcourt les rues de Portland à grande vitesse et chute de temps à autre. La traduction littérale du titre du film est : « ne vous inquiétez pas, il n’ira pas loin à pied » (titre éponyme de l’autobiographie de John Callahan).

Ce caricaturiste au destin hors norme, alcoolique, furibard, tétraplégique, est un personnage de cinéma. Le réalisateur Gus Van Sant (65 ans) a tenté à plusieurs reprises, durant une vingtaine d’années, l’adaptation du livre de John Callahan, personnage qu’il a connu, étant lui-même natif de Portland. Après plusieurs tentatives infructueuses (notamment avec Robin William), il a réussi à « monter » son film avec un casting de qualité : Joaquin Phoenix (John Callahan), méconnaissable, au jeu toujours aussi dense, Jonah Hill (Donnie), le riche christique qui dirige les séances des « Alcooliques Anonymes », doux gourou malade du sida, Annu (Rooney Mara), la maternante infirmière qui apaise les humeurs belliqueuses de John.

Gus Van Sant, en réalisateur expérimenté, dirige d’une main sûre ses acteurs qui, tous, sont au diapason exact de leurs personnages. Le récit cinématographique est fragmenté en courtes scènes qui s’enchainent, se répondent sans qu’il y ait une suite chronologique. C’est un scénario kaléidoscopique, mais dont la lisibilité par le spectateur est naturelle. Ce long métrage n’est pas un de ces biopics classiques, trop nombreux, linéaires, décrivant les causes et leurs effets dans un déroulé mécanique. Le metteur en scène et ses coscénaristes ont parfaitement déconstruit l’histoire tragique de John Callahan afin qu’elle reste, malgré un montage fragmenté, intelligible.

Autant l’avouer, John Callahan est pour nous un parfait inconnu, dont l’œuvre graphique née durant les années Ronald Reagan (1980 – 1988) s’est poursuivie jusqu'à Barack Obama. C’est l’histoire d’un renoncement à l’autodestruction (alcoolisme, tabagisme, vitesse, etc.) et d’une rédemption par le travail artistique (dessin).

Avec son dix-septième opus, Gus van Sant nous propose une œuvre ou l’on ressent de nouveau son originalité dans le sujet et son  traitement cinématographique. Après plusieurs films mineurs, nous attendions de sa part, une telle proposition depuis dix ans (« Harvey Milk » - 2008).

Jean-Louis Requena

 

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