Marylis Raoul-Duval vient de s’éteindre à l'âge de 97 ans dans la belle propriété de La Ferté-Saint-Cyr, en forêt de Sologne, où elle résidait avec son époux François Raoul-Duval, et où ses obsèques ont été célébrées par Mgr Verrier vendredi 17 janvier dernier en l'église Saint-Sulpice.
C'est en grande partie à elle et à toute sa "fratrie" que l'on doit la redécouverte depuis une décennie de l'œuvre du compositeur bordelais Ermend Bonnal (1880-1944) qui, adolescent, jouait à la tribune de l’orgue de Saint Michel.
Un amour de la musique que Marylis éprouva depuis sa plus tendre enfance au Pays Basque, dans la maison familiale au Parc d'Hiver à Biarritz, lorsque sa mère soprano et son père - que Louis Vierne, Charles Tournemire et Paul Dukas avaient soutenu et aimé - interprétaient, le soir, "L'Invitation au voyage" d'Henri Duparc.
Parmi ses souvenirs demeurait encore vif l'ami de la famille, le baryton basque Henri Etcheverry dont la mère procurait des tisanes à Ermend Bonnal. Marylis eut l'occasion, jeune, d'accompagner Henri Etcheverry qui deviendra un interprète renommé de Debussy après qu'Ermend Bonnal l'eut "découvert" comme "chantre" à l'église de Saint-Jean-de-Luz en l'encourageant d'aller étudier à Paris.
Sans oublier ses grands amis : le compositeur Olivier Greif qui lui a dédié une de ses oeuvres, le baryton Stéphane Genz, et Nicole Corti, chef d'orchestre et de chœur, rencontrée dans un festival en Ardèche qui donnera régulièrement "Les Poèmes Franciscains" d'Ermend Bonnal avec le choeur Britten : première femme à diriger le choeur de Notre-Dame de Paris et responsable à Lyon de l’unique classe de direction de choeur des conservatoires nationaux, elle avait interprété cette oeuvre - en novembre 2014, à l'église Saint-André de Bayonne - à la tête de l'ensemble vocal et symphonique de l'Orchestre Régional Bayonne Côte Basque et du choeur Kup Taldea de Guipuzcoa.
Comment ne pas me souvenir de ces merveilleux déjeuners à Arcangues avec Marylis et son époux François Raoul-Duval et de ce dîner qui les réunit à Béguios à Noël 2014.
Il y a quelques années, elle confiait la précieuse mémoire de son temps musical à Marcel Quillévéré dans son émission "Les traverses du temps" sur France Musique
https://www.francemusique.fr/emissions/les-traverses-du-temps/marylis-raoul-duval-21256
Un Noël avec Ermend Bonnal
Il y a fort longtemps, j'avais produit une émission sur France Bleu intitulée "le Noël d'Ermend Bonnal" autour d'un entretien que j'avais enregistré avec Marylis.
"Nous sommes à Bayonne, à la fin des années 30. La tempête déclenchée par le scandale Stavisky et l'affaire du Crédit Municipal qui ébranla plus d'une famille bayonnaise s'apaise, cependant que d'autres nuages s'amassent à l'horizon : la guerre d'Espagne et la chute des provinces basques d'outre-Bidassoa, qui a rempli le pays de réfugiés, est annonciatrice des futures catastrophes.
L'époque où se produisaient souvent dans la région la chorale Eresoïnka, constituée à Sare par les soins du gouvernement basque en exil, comme l'ultime témoignage d'une Euskadi sombrée sous le déluge de fer et de feu de Gernika. Or, parmi les chanteurs d'Eresoïnka se trouvait un jeune réfugié d'Irun qui était venu demander conseil au maître quelques temps auparavant : c'est ainsi qu'Ermend Bonnal avait donné à Luis Mariano l'orientation qui devait se révéler décisive pour sa carrière future : "Ta voix n'est pas faite pour le répertoire classique, mais plutôt pour la variété." Et de le recommander à son beau-frère, propriétaire du théâtre de l'Alhambra à Bordeaux, qui était en train de monter une opérette. Plus tard, Luis Mariano restera toujours reconnaissant à la famille Bonnal des bons conseils et des encouragements du maître.
Mais en ces fêtes de fin d'année, les esprits étaient ailleurs, on célébrait Noël à l'église Saint-André dont les orgues étaient tenues par Joseph Ermend Bonnal. Directeur du Conservatoire de Bayonne depuis 1921, le maître improvisait avec toute sa nombreuse famille autour de lui : sa fille Marilis se souvenait d'avoir régulièrement assisté son père en tirant les jeux de l'orgue, c'était un véritable rite à Noël.
La Messe achevée, on félicitait le maître, la famille rentrait à Biarritz dans sa villa « Ene Gutizia » située au Parc d'Hiver à Biarritz et le lendemain, les Bonnal étaient traditionnellement invités au château d’Arcangues. N'est-ce pas l'actuel marquis, Michel d’Arcangues, qui est l'auteur de la biographie du compositeur, publiée en 2003 chez Séguier ?
Or, son grand-père Pierre d'Arcangues, lorsqu'il avait assisté à l'interprétation au Châtelet par quelques trois cents exécutants des célèbres Concerts Colonne de l'oratorio "Les Poèmes Franciscains" composé par Ermend Bonnal sur des poèmes de Francis Jammes, émerveillé par la qualité de l'œuvre et le succès de son auteur, ne put réprimer cette remarque si juste : « Nul n'est prophète en son pays, prétend le vieux proverbe. Hélas ! C'est vrai et combien regrettable. Il semble que pour apporter à un artiste que nous connaissons le tribut d'admiration auquel il a droit, nous ayons besoin qu'on vienne de l'extérieur, nous dire : - c'est beau, vous pouvez admirer » !
C'était en 1936 et Bonnal, organiste talentueux né à Bordeaux (en 1880), condisciple de Nadia Boulanger au conservatoire de Paris et de Maurice Ravel dans la classe de Gabriel Fauré, avait choisi délibérément "la solitude relative, la paix, le calme et l'air pur de la campagne" à la direction du Conservatoire de Bayonne auquel il imprima un souffle et un élan nouveaux, créant "L'Orchestre Rameau" et "Les Chanteurs de la Renaissance".
Nos compatriotes étaient-ils bien conscients d'avoir à leur portée un grand artiste, animateur inspiré de la vie musicale dans la région ? Certes, Bonnal reconnaissait bien que "l'éloignement de Paris pour la carrière d'un compositeur était un obstacle terrible." Mais, s'empressait-il d'ajouter, "il faut des musiciens en province ; c'est un effort quelquefois ingrat, mais nécessaire, que de défricher, d'ensemencer..."
Ermend Bonnal s'éteignit à la fin de la guerre, alors qu'il lui revenait de recueillir aux orgues de Sainte-Clotilde la succession de Charles Tournemire et celle de César Franck, dont il avait imité dans sa jeunesse le tour de force consistant à "présenter au jury le thème imposé, simultanément en augmentation au pédalier et en diminution au manuel"... Depuis lors, son souvenir et celui de ces nombreuses compositions - beaucoup puisant leur inspiration au Pays Basque, grâce entre autres à son amitié avec le Père Donostia qui lui procurait parfois une mélodie qu’il avait reccueillie - eut été recouvert du voile de l'oubli si ses descendants, au nombre desquels sa fille Marylis Raoul-Duval, elle-même musicienne accomplie, prit assurément une très grande part - n'avaient encouragé de grands artistes à inscrire dans leur discographie le répertoire du maître bayonnais.
Goian bego. R.I.P.