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Patrimoine
Ciboure : corsaires, entre mythe et réalité
Ciboure : corsaires, entre mythe et réalité
© Manex Barace

| Alexandre de La Cerda 1192 mots

Ciboure : corsaires, entre mythe et réalité

Jusqu’au 23 décembre, avec le concours de l’Ordre des Corsaires Basques et le soutien du Musée Basque et de l’histoire de Bayonne, de l’association Jakintza et de la ville de Ciboure, la Tour de Bordagain accueille une exposition intitulée « Corsariak edo Piratak ». Sur les traces de nos corsaires, entre mythe et réalité.

Ce pan de notre patrimoine maritime est présenté à travers une exposition rassemblant des collections privées, objets de corsaires, maquettes, documents, tableaux… et des conférences sur place. Vendredi 21 décembre à 18h30, « La course basque, corsaires guipuzcoans » par Juan Antonio Azpiazu. Samedi 22 décembre à 16h, « La course basque, relations avec nos voisins, par Caroline Lugat. Et dimanche 23 décembre à 16h, « La course basque aux XVIème et XVIIème siècles » par Pettan Harriage, co-organisateur de l’exposition avec sa sœur…

Tour de Bordagain à Ciboure, jusqu’au dimanche 23 décembre, entrée libre de 10h à 19h.

Les corsaires basques à l’assaut de l’histoire

« ... Le Basque, comme le Phénicien, ne peut voir la mer sans voir en elle une source de fortune, de gloire et de grandeur ; c'est son instinct et cet instinct devient facilement dans tous les Basques une passion. Dans les temps modernes, les Basques n'ont pas figuré dans l'histoire de la navigation en corps de peuple, comme les Phéniciens dans les temps antiques ; mais comme individus ils ont égalé ou surpassé l'audace et le courage des faits les plus éclatants dans l'histoire des flibustiers, des corsaires, des flottes, dans les récits des tempêtes et des combats qui ont eu lieu entre les deux hémisphères. La gloire de la découverte du nouveau monde est restée à Colomb ; les Basques la lui ont disputée et l'auraient, je crois au moins, partagée avec Colomb s'ils avaient su comme lui parler à l'Europe et s'en faire entendre... »

Intertitre : Les Basques, tels les Phéniciens de l’Antiquité

Ces considérations figurent dans le « Mémoire adressé à l'Empereur » que le Labourdin Joseph Garat avait rédigé à l’intention de Napoléon peu de temps avant qu’il s’enfonce dans la campagne de Russie (1811). Les Anglais imposaient alors un sévère blocus à la France dont la flotte et les arsenaux – patiemment reconstitués sous Louis XVI - avaient énormément souffert de la désorganisation coupable des autorités révolutionnaires qui livrait une marine affaiblie au plus redoutable des amiraux ennemis, Horatio Nelson. Ce dernier, malgré la bravoure désespérée des marins français (parmi lesquels un Dalbarade, de la famille des corsaires biarrots) avait détruit une partie de cette flotte lors de la bataille d’Aboukir en août 1798, privant de toute communication avec la métropole Bonaparte en pleine campagne d’Egypte… Garat savait donc que les projets politiques nourris à l’égard de son Pays Basque natal auraient l’oreille de l’empereur : « ... des escadres et des flottes ne se créent pas en un instant, mais tandis qu'ils seraient sur les chantiers on en formerait les équipages des deux Biscayes sur les corsaires qu'on lancerait bientôt sur toutes ces mers placées précisément sur la route des deux Indes en Angleterre (…) On reverrait sur l'océan ce qu'on n'y voit plus depuis un siècle, une vraie guerre de flibustiers ; elle désolerait la marine marchande des Anglais et formerait les équipages qui sur nos escadres et sur nos flottes ne tarderaient pas à combattre et à vaincre la marine militaire de ces dominateurs insolents des mers. »

Louis XIV, « roi des Corsaires »

De fait, du XVIe au XIXe siècle, les corsaires basques avaient transformé le golfe de Gascogne en un véritable « nid de vipères », au dire des Anglais comme des Espagnols qui, dès 1542, préparèrent des armements pour détruire Saint-Jean-de-Luz dont ils affirmaient « que les rois de France l’ont toujours ménagée parce que ses habitants sont très belliqueux, particulièrement sur mer. Leurs nombreux corsaires attaquent et pillent jusqu’aux vaisseaux qui viennent des Indes. Enrichis par les prises qu’ils ont faites dans les temps passés, ils ont orné leur ville de superbes édifices… ». Il est difficile aujourd’hui de se faire une représentation exacte de l’ardeur maritime et guerrière qui s’était alors emparée des populations proches de la côte entre Capbreton et la Bidassoa. Car, les pêcheurs de baleines des origines qui avaient dû âprement défendre leurs pêcheries basques de Terre-Neuve ne tardèrent pas à se muer en redoutables corsaires qui porteront leurs coups à l’intérieur même du dispositif maritime et commercial de l’ennemi. Lorsque la guerre de course battra son plein, chaque village y contribuera à l’image de Sare où plusieurs chapelles votives rappellent les exploits de marins aventureux, et c’est à tort que certains historiens privilégieront à leur encontre ceux de leurs contemporains de Bretagne ou de Normandie. Véritable « débouché commercial » encouragé par les autorités, c’est surtout sous l’Ancien Régime, durant la guerre de la Ligue d’Augbourg (1688-1697), que la Course basque va faire bénéficier d’une certaine prospérité économique toute la région alentour où plus d’une maison conserve encore sur le linteau de sa porte la mention d’une de ces années de « l’âge d’or ». 

Parmi les plus connus figurent Cépé et Elissagaray - reçus et félicités par le Roi Soleil qui n’hésitera pas à se dire« roi des Corsaires » -, ainsi que le Bayonnais Joannis de Suhigaraychipy surnommé « Coursic » qui suscita un tel enthousiasme par la terreur infligée aux Espagnols et aux Hollandais que le duc de Gramont en personne sollicita la faveur « d’entrer pour moitié dans les frais d’armement de sa corvette « La Légère »… étant bien entendu qu’il serait également de moitié dans le partage des prises ! » D’ailleurs, il encombra si bien le port luzien de ses dépouilles que Gramont put écrire à Louis XIV : « l’on passe de la maison où logeait Votre Majesté (« Lohobiague » ou maison Louis XIV, ndlr.) à Ciboure sur un pont de vaisseaux pris, attachés les uns aux autres ». Sans oublier Etchegorria ou « Michel-le-Basque », qui commença par être boucanier (chasseur de bœufs sauvages pour en « boucaner » la viande sur l’Ile de la Tortue) avant de sévir parmi les « Frères de la Côte », sous l’étendard de la tête de mort et des tibias entrecroisés. Ni Ducasse, qui préféra à la vente du jambon de Bayonne paternel (produit à Saubusse) une carrière sur les mers que couronnèrent des charges d’amiral et de gouverneur octroyées par Louis XIV, le collier de la Toison d’Or reçu du roi d’Espagne et le mariage de sa fille à un La Rochefoucauld ! Progressivement, la guerre de Course dite classique, privée, fera du capitaine corsaire un auxiliaire de guerre mandaté par le roi.

Mais les investissements des armateurs locaux diminuant, la course basque déclinera dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle malgré des tentatives pour la ranimer sous la révolution, avec Jean Dalbarade qui devint ministre de la Marine en 1794 et les derniers corsaires : Darribeau qui bravera le blocus devant l’embouchure de l’Adour et le Hendayais Etienne Pellot - le « Renard Basque » -, aussi célèbre que son contemporain Surcouf pour ses nombreuses et fantastiques évasions des geôles anglaises. Elle disparut aussi vite que s’écroula l’empire napoléonien.

 

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