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CETA, TAFTA & Cie : menaces potentielles sur la production basque
CETA, TAFTA & Cie : menaces potentielles sur la production basque
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| Alexandre de La Cerda 1202 mots

CETA, TAFTA & Cie : menaces potentielles sur la production basque

Quand on aborde Hendaye par la route de la Corniche, on remarque sur le panneau d’entrée dans la ville une inscription « Commune hors TAFTA ». Pourrait-on y ajouter également la mention « hors CETA », tant cet accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada suscite de controverses, malgré des négociations qui sembleraient moins « opaques » que celles du projet d’accord avec les USA.

Cependant, ce n’est pas du Pays Basque ni même du Conseil Régional de la « Nouvelle Aquitaine » (qui n’a aucune compétence en la matière) qu’est venue la résistance, mais bien de Belgique où le chef du Gouvernement Wallon Paul Magnette a refusé pendant quelque temps de céder aux pressions de Bruxelles pour faire passer au forceps le CETA, avant de finir par se soumettres aux instances européennes.  

Or, les craintes de Paul Magnette concernaient une possible dégradation de sa filière agricole, cruciale pour la Wallonie et en pleine restructuration avec un vaste programme de valorisation des circuits commerciaux courts, notamment pour les productions « bio » favorisées (un secteur agricole qui souffre, par ailleurs, de l’embargo sur les produits agricoles européens institué par la Russie en réponse aux sanctions américano-européennes).

Des producteurs basques inquiets

Des préoccupations qui rejoignent celles de Peio Etchelecu qui dirige (entre autre) la fromagerie Agour installée dans son merveilleux écrin naturel sur les flancs du Baïgura. Egalement conseiller municipal de Cambo, ce chef d’entreprise qui œuvre pour une reconnaissance mondiale de la production basque de qualité évoque « le verre à moitié plein et à moitié vide » à propos du CETA dont les commentateurs s’emploient à souligner qu’il protégera le Roquefort… Mais sans doute pas notre ardi gasna national (fromage de brebis, en basque). A ce propos, comment ne pas me souvenir de mes années étudiantes aux Etats-Unis, où les seuls fromages « français » que je pouvais acheter dans les magasins « Hickory Farms » réputés « gourmets » étaient fabriqués en Allemagne avec du lait stérilisé…

Pour en revenir à Peio Etchelecu, il explique : « Si l’on considère le verre à moitié plein, pour une fois il y a un accord international qui reconnaît sur son territoire des appellations d’origine qui sont protégées Outre-Atlantique, en l’occurrence au Canada qui devrait empêcher des copies ou des usurpations à l’égard de produits européens… Mais le verre à moitié vide, c’est que cette protection ne touche qu’environ 150 appellations »

- Et je doute que le fromage de brebis basco-béarnais ou le piment d’Espelette entrent dans cette catégorie protégée ?

- « C’est clair ! Il se trouve qu’il y a quelques jours, je déjeunais à Bruxelles avec un membre du cabinet du Commissaire européen en charge de l’Agriculture et des négociations internationales : d’après ses explications, c’est le critère du volume qui a été retenu en favorisant la protection des productions les plus importantes et les plus menacées d’usurpation à court terme. Du coup, ils en ont écarté un gros paquet, même s’il est prévu d’étendre cette protection à des appellations qui pourraient être menacées à l’avenir. On en retire donc le sentiment un peu frustrant d’une occasion manquée, même s’il y a un début de protection qui n’existait pas jusqu’à maintenant.

La menace ne s’est pas encore précisée sur le marché européen où nous sommes bien protégés, mais en cas « d’engouement » pour le fromage de brebis, cela pourrait nous faire de la concurrence sur le marché canadien, par exemple, où l’on vend, déjà aujourd’hui, de l’Ossau-Iraty ».

- On dit que cet accord avec le Canada servirait de cheval de Troie pour celui des Etats-Unis, le fameux TAFTA ? En particulier en matière d’importation de viande ?

- « C’est bien possible… Si ce n’est pas exactement ma partie, j’ai entendu dire que les coûts de production nord-américains de la viande sont plus bas qu’en Europe, laquelle serait obligée d’ouvrir son marché à ces viandes-là. Sans compter les conditions de cette production, hormones etc. ».

Au cours d’un précédent entretien, Peio Etchelecu m’avait déjà exprimé ses doutes concernant les négociations menées par l’Europe avec les Etats-Unis à propos du traité de libre-échange TTIP (ou Tafta) : « Les Etats-Unis ne reconnaissent pas les appellations d’origine, ils les considèrent comme des « noms génériques » pour désigner une famille de produits, en faisant complètement fi de l’histoire et des liens de ces produits avec leur terroir et des savoir-faire qui ont permis de les voir « émergés ». C’est quelque chose de vraiment scandaleux, parce que cela revient à nier les spécificités territoriales, de savoir-faire… En un mot, c’est nier la force et le travail qui a été mené depuis des décennies, voire des siècles pour contribuer aux particularités et à la qualité de ces produits, à la rigueur des cahiers des charges qui régissent ces appellations. En cela, l’Europe devrait être intransigeante pour protéger ces appellations, car il y a deux enjeux majeurs : d’abord, la juste information des consommateurs et la préservation du risque d’usurpation, ainsi que l’enjeu pour nos filières qui ont fait énormément d’efforts afin d’améliorer la qualité des produits et sauvegarder l’authenticité, l’origine des terroirs. Par exemple l’herbe que vont brouter les brebis pour le fromage final, car il convient que l’approvisionnement soit réalisé majoritairement dans la zone d’appellation. Le risque d’être copié – sans être protégé – peut potentiellement mettre en danger des filières entières qui font des efforts depuis des décennies.

Et il y a quelque chose d’encore plus pervers qui pointe à l’horizon de ces négociations, en particulier les accords projetés avec le Canada : du coup, pour sembler « mettre un peu d’eau dans leur vin », les négociateurs américains acceptent de protéger une partie des appellations – généralement, celles qui ont le plus gros volume, soit 10% des 3 000 appellations reconnues par l’Europe -, mais que fait-on des 90% restant ? Ce n’est pas parce qu’elles ont manifesté un volume moins important à ce jour qu’elles ne recèlent pas de potentiel à l’export dans l’avenir, et qu’elles ne nécessitent pas le même niveau de protection.

Nous avions (en avril, ndlr.) une réunion du conseil d’administration de l’Ossau-Iraty et nous avons adopté la résolution de faire pression à la fois sur les parlementaires qui seraient amenés à ratifier ces traités, sur les instances qui nous représentent – l’Institut national des appellations d’origine ou la commission des appellations d’origine laitières - afin qu’elles fassent remonter notre requête de non-discrimination : nous avons besoin du même niveau de protection » !

Il est à espérer que ces entités seront assez fortes pour protéger une identité de production qui participe de l’identité générale du Pays Basque, comme en son temps, les viticulteurs bordelais avaient empêché l’adoption de normes « européennes » autorisant l’élaboration de vin rosé à partir du blanc et du rouge (pour faire plaisir aux Anglo-Saxons), alors que les chocolatiers n’avaient pas su s’opposer à l’emploi de l’huile de palme…

Sinon, à quoi servirait à l'Ossau-Iraty d'« affiner » son cahier des charges en cherchant à remplacer l'ensilage maïs pendant la période de traite, objet des débats lors de la récente réunion des producteurs de l’appellation à Ordiarp ?

En sera-t-il question au 11ème salon de l'agriculture du Pays Basque « Lurrama » destiné à accueillir (du 4 au 6 novembre) des fermiers, chefs restaurateurs, écoles, artistes, et sans doute plus de 20 000 visiteurs communiant dans l’idéal d’« une agriculture soucieuse des bêtes, des paysans, des consommateurs, des générations futures et de notre environnement » ?

A mille lieues des projets CETA, TAFTA, etc.

Alexandre de La Cerda

 

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