Il est 22 heures, le concierge de l'école de la citadelle à Bayonne est tranquillement installé chez lui. Il jette par la fenêtre un dernier coup d'œil sur la cour de récréation. Machinalement et sans chercher la petite bête.
Tout est calme. Enfin, presque. Une silhouette à quatre pattes, ramassée et puissante, rôde dans la cour. Le syndrome des molosses d'Amade sévit et tous les doutes sont permis, surtout entre chien et loup. Mais non, la forme est plus grosse, plus imposante.
Le gardien y regarde à deux fois et doit se rendre à l'évidence: c'est un sanglier. Et pas un petit !
Il appelle la mairie pour connaître la procédure à suivre. C'est un cas d'école devant lequel il ne s'est jamais trouvé.
L'appel, dans ces cas-là, finit toujours sa course chez le maire. Jean-René Etchegaray préfère se transporter sur les lieux. Mais il n'a rien des grands chasseurs d'Afrique pour partir aux basques du gibier.
Il veut entrer dans la cour pour voir ça de plus près. Le concierge le lui déconseille, vu qu'il a déjà observé plusieurs charges de l'animal dès que quelque chose bouge à peine. Le maire un peu sec devant cette situation inédite, appelle le sous-préfet pas plus informé des textes officiels régissant ce type d'occurrence. Il eût fallu sans doute un sous-préfet au champ, mais plus personne ne lit Daudet de nos jours. Hélas d'ailleurs...
Les pompiers sont appelés à leur tour. Eux qui n'en finissent pas de gérer des interventions animalières de plus en plus exotiques. Après la série des serpents, un sanglier ! Mais pour capturer un tel bicho, il est de suite question d'une seringue hypodermique. Bref, une solution à trop grande échelle. La seule certitude, c'est qu'il faut agir vite, surtout avant que l'animal ne rameute ses congénères. La notion de regroupement familial en milieu scolaire a tout de même ses limites...
Une battue à cette heure-là, dans une cour de récréation et pour un objectif aussi ciblé, ne semble pas non plus très adaptée. La bestiole va jusqu'à narguer ses trappeurs amateurs en utilisant les jeux et agrès des enfants. Un sanglier joueur sûrement, et peut-être épris d'éducation, allez savoir. La classe ! Tout sauf un âne en tous cas.
L'encercler ? Le rabattre mais vers où ? Il est 23 heures et le safari est à l'arrêt. On se perd en conjectures. Un coup d'arme automatique est aussi envisagé, mais il faut être sûr que personne ne traîne dans une haie. Il ne faudrait surtout pas que le remède soit pire que le mâle. Et puis il fait noir et un sanglier, la nuit, malgré sa race, sait se tapir.
La seule certitude, c'est qu'il ne faut pas y passer la nuit. Il est certain qu'avec les voisins du 1er RPIMa, les tireurs d'élite ne manquent pas. Et qui peut le plus, tue le moins. Après avoir mis un maire et un sous-préfet sur le pied de guerre, on n'en est plus à ça près. L'opération s'annonce somme toute délicate car le sanglier a plutôt l'école buissonnière.
C'est pourtant lui qui aura le dernier mot en quittant la cour de l'école après un dernier tour dans la cabane des enfants dont il est sorti de très bon poil. Il avance sous le clair de lune, vers le domaine forestier de la citadelle où il disparaît dans les bosquets pour un nouveau parcours du combattant. Le groin au ras du sol, il semble préférer l'infanterie de narine.
Un chevreuil, quelques jours avant, a été vu et capturé dans une autre école bayonnaise. L'Education Nationale a été alertée et les professeurs des écoles doivent désormais faire face à des intrusions pour lesquelles ils n'ont reçu aucune formation. Ce qu'il y a de sûr, c'est que les programmes de lecture chez les plus petits vont très vite se révéler dépassés avec « Bambi » et « Les trois petits cochons »…