Le président français avait résolu d’éblouir son homologue russe à Versailles à l’occasion de la belle exposition du Grand Trianon qui commémore (jusqu’au 24 septembre) le tricentenaire de la visite diplomatique de Pierre le Grand à Paris et dans ses environs, en mai et juin 1717. Fruit d’une collaboration exceptionnelle entre le château de Versailles et le musée d’État de l’Ermitage, elle présente plus de 150 œuvres – peintures, sculptures, arts décoratifs, tapisseries, mais aussi plans, médailles, instruments scientifiques, livres et manuscrits – dont les deux tiers appartiennent aux collections du prestigieux musée de Saint-Pétersbourg.
La conférence de presse qui a réuni les présidents français et russe a bien montré comment Emmanuel Macron avait voulu user du « levier culturel » de cette exposition sur Wladimir Poutine : outre le problème du piratage informatique de l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron dont il s’avère maintenant qu'aucune trace de hackers russes n'avait été relevée comme vient de le déclarer Guillaume Poupard, directeur de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) qui, après enquête, a écarté totalement cette piste, et les accusations sans fondement du président français contre les médias russes RT et Sputnik (en se gardant bien d’évoquer la propagande de tous les instants des médias français contre la Russie et son gouvernement), le nouveau président français - à l’égal de la quasi-totalité des dirigeants occidentaux depuis des siècles - a voulu jouer le donneur de « leçons de démocratie ». Et de souligner, dès le début de la conférence de presse, combien Pierre le Grand était venu en France en 1717 pour apprendre à moderniser son pays arriéré. Comme le remarque justement le philosophe et historien John Laughland, directeur des Etudes à l'Institut de la Démocratie et de la Coopération (Paris), « il ne s'agissait pas, pour le président Macron, de célébrer une longue histoire d'amitié franco-russe qui remonte bien au-delà du XVIIIe siècle et qui ne se réduit aucunement aux abstractions des Lumières ni aux échanges culturels et technologiques que les deux présidents ont évoqués. Il s'agissait pour Macron, au contraire, de profiler l'Europe comme supérieure, sur le plan de la civilisation et des mœurs, à la Russie. « Pierre le Grand est le symbole de cette Russie qui veut s'ouvrir à l'Europe », sermonnait le jeune président de la République, se positionnant ainsi en donneur de leçons à l'égard de son puissant invité. « Cette Russie qui s'ouvre à l'Europe... C'est cela que je voulais vous faire partager en vous invitant à Versailles ». Or, poursuit John Laughland, « le pari de Macron est d'autant plus absurde que, s'il y a une chose que les Russes ne supportent pas, c'est d'être traités comme des demeurés qui ont besoin de puiser dans la post-modernité européenne pour pouvoir se remettre « du bon côté de l'histoire » comme se plaisait à le répéter le président Obama. En réponse à la dissertation macronienne sur les Lumières et les « valeurs » de la France, Wladimir Poutine a d'ailleurs répliqué en évoquant une histoire beaucoup plus ancienne et infiniment plus charnelle : Anne, la fille du Grand-Prince russe Iaroslav le Sage, qui avait épousé le roi de France Henri Ier au onzième siècle, avait fondé deux grandes dynasties européennes, les Valois et les Bourbons, dont une est encore régnante aujourd'hui. C'était une façon élégante et décidément pré-moderne de répondre au post-modernisme fade de son hôte ».
Une histoire mouvementée des relations franco-russes
Pour notre part, nous rappellerons que déjà à la fin du XVIe siècle, aux velléités manifestées par Henri IV pour renouer le contact avec la Russie, Sully opposera le "caractère schismatique, voire idolâtre" d'une Moscovie - marquée "Esclavonie" sur certaines cartes - qu'il rejetait volontiers parmi les pays barbares... D'ailleurs, quel crédit pouvait-on accorder à ces rares voyageurs « venus de contrées sans attrait, attifés de longues robes de coupe asiatique, comme déguisés sous leurs bonnets de fourrure qui faisaient plutôt penser à un carnaval qu'à quelque mission diplomatique », tels que les décrivaient des chroniqueurs occidentaux ?
Plus tard, ce sera grâce au Tsar Alexis Mikhaïlovitch, désireux de conclure des accords avec les rois Philippe IV d'Espagne et Louis XIV de France, qu’une ambassade russe, de passage entre les deux royaumes, foulera pour la première fois en 1668 le sol du Pays Basque. De son étape prolongée à Bayonne, il reste une relation très détaillée avec des descriptions hautes en couleurs… Le journal de voyage de cette extraordinaire ambassade qui aboutit à Paris, fertile en épisodes insolites, voire parfois pittoresques, constitua en Russie l’un des premiers témoignages écrits connus et, par conséquent, une première appréhension assez précise de la réalité occidentale au milieu du XVIIe siècle, qui précède l’ouverture par Pierre le Grand de la « fenêtre sur l’Occident », avec un état de la situation des pays visités et les impressions des visiteurs russes concernant leurs interlocuteurs, autorités officielles ou gens du commun rencontrés au gré du voyage. Architecture, artisanat, gastronomie, art de vivre : on voit déjà dans ce rapport tout ce qui alimentera la vision de la France que les Russes consolideront au fil des générations.
Car, depuis ces premières impressions de cette ambassade transmises au tsar Alexis et dont son fils, Pierre le Grand prendra évidemment connaissance, beaucoup de Français – huguenots exilés (on oublie que Pierre fut aussi accueillant à leur égard que les protestants allemands), architectes, artistes, invités auxquels s’ajouteront les éducateurs et les philosophes prisés de Catherine II, puis les émigrés de la révolution de 1789 – tous ont nourri une « référence française » privilégiée du bon goût et de la culture dans la société russe. Le duc de Richelieu, constructeur d’Odessa, le chorégraphe Marius Petipa et beaucoup d’autres en sont l’illustration.
Quant à l'exposition au Grand Trianon à Versailles, elle sera ouverte jusqu’au 24 septembre, du mardi au dimanche de 12h à 18h30 (dernière admission à 17h30). L'exposition est organisée en partenariat avec le musée d'État de l'Ermitage, grâce au mécénat principal de Gazprom.
Alexandre de La Cerda