Une année d'expositions et d'événements commémoratifs en l'honneur du compositeur Ludwig van Beethoven commence aujourd'hui en Allemagne en prévision du 250ème anniversaire de sa naissance qui sera célébré le 16 décembre 2020. Le coup d'envoi des célébrations, centré sur Bonn, sa ville natale, avec un concert inaugural de l'Orchestre Beethoven de Bonn, comportera plusieurs expositions autour de la figure du compositeur. Ouverte dès maintenant au public et jusqu'en avril prochain, l'une d'elles retrace la trajectoire vitale du génie en la reliant à certaines de ses œuvres clés. Une autre exposition, centrée sur le célèbre portrait de Beethoven réalisé par le peintre Joseph Stieler, est installée dans la maison natale du compositeur qui accueille également une exposition permanente sur sa vie à Bonn. En revanche, pour le moment, rien n’est « décelable » sur ce thème dans l’agenda de l’Orchestre Symphonique du Pays Basque ni dans celui du conservatoire régional… « Qui vivra, verra » ! En revanche, Thierry Malandain, en mélomane éclairé et érudit n’a pas manqué de rendre hommage au grand maître romantique de la musique en créant un nouveau ballet intitulé « La Pastorale » en relation avec la Sixième Symphonie (voyez l’article d’Anne de La Cerda en rubrique « Actualité »).
En attendant, comment ne pas évoquer en relation avec cet anniversaire « beethovénien », un très grand musicien, un compositeur célébrissime, lechantre du romantisme flamboyant marqua deux étapes dans notre région en 1844. La date exacte est mentionnée sur une plaque commémorative qui se trouvait à l’entrée principale du théâtre de Bayonne avant d’être bizarrement reléguée quelque part à l’entrée des artistes depuis la dernière réfection du bâtiment : « A l’apogée de sa carrière de virtuose, il avait alors 34 ans, Franz Liszt donna sur cette scène deux admirables concerts, lundi 14 octobre 1844 et le vendredi 18 octobre 1844 ».
Espérons qu’un édile courageux et mélomane – si, si, ça existe - remettra enfin dans le hall d’entrée du théâtre la plaque rappelant les concerts de Liszt, événement qui donne ses lettres de noblesse à l’édifice !
Lizst, en grand admirateur de Beethoven...
Pourquoi donc cet interprète déjà adulé et auteur de pièces musicales si célèbres est-il venu donner plusieurs concerts à Pau et à Bayonne?
En fait, il semble que la première raison de son passage était précisément liée à Beethoven. Ou plus précisément au monument à Beethoven que la ville de Bonn en Allemagne, où le compositeur était né, désirait lui élever au moyen d’une souscription publique.
Mais comme toujours, l’argent qui est le nerf de la guerre, vint à manquer ! Apprenant au milieu d’une tournée en Italie que la somme réunie n’atteignait pas 500 Francs, Liszt laissa éclater son indignation et proposa une tournée de concerts afin de recueillir des fonds pour ce monument.
Une invitation venue fort opportunément du Liceo Artistico y literario le dirigea vers l’Espagne. Il arriva dès le 22 octobre (soit quatre jours après son deuxième concert bayonnais) à Madrid où il rencontra une pléiade de musiciens basques attachés au conservatoire, tel le pianiste navarrais Juan-Maria Guelbenzu, Hilarion Eslava, également navarrais (maître de la chapelle royale et auteur d’opéras). Et deux Alavais, l’organiste Sebastian Iradier et Pedro Albéniz, lui-même fils d’un compositeur, Mateo Albeniz, auteur de sonates remarquées au XVIIIe siècle, qui accueillit notre musicien dans la capitale des Espagnes.
Certes, Bayonne était le passage obligé vers l’Espagne et son théâtre était déjà connu depuis Victor Hugo et même Stendhal qui avait assisté au début de sa reconstruction en 1838. Le consul Henri Beyle, plus connu sous son nom de plume de Stendhal, n’avait-il pas remarqué à Bayonne « au levant de la place d'armes, un superbe bâtiment carré, composé d'arcades sur toutes les faces et qui n'en est encore qu'au premier étage. Il est difficile de concevoir une position plus heureuse. Si, comme un enfant me l'a dit, c'est une nouvelle Comédie, rien de plus judicieux et de plus joli.S'il y a des voitures dans la ville, chacun pourra donner rendez-vous à sa voiture à une arcade différente et le chargement sera fait en un instant. Dans les grandes chaleurs et en hiver, on se promènerait sous celle des quatre rangées d'arcades qui serait la plus fraîche ou la plus chaude. Ce plan était celui du théâtre de Moscou que l'armée française vit pendant trente-six heures (au moment de l’incendie de Moscou, ndlr). Il n'y manquerait que le moyen de descendre à couvert » ; mais on lui objecta que « personne ici ne venait au spectacle en voiture » (la situation a bien changé depuis).
Amours paloises
Il faut cependant préciser que Liszt avait également joué à Pau. Car, l’autre raison, moins connue, de son séjour dans notre région touchait à un amour contrarié - à l’âge de seize ans - pour une de ses élèves, Caroline de Saint-Cricq, que son père, ministre de Charles X, s’empressa de marier à un compatriote béarnais de ses amis en vue d’éviter une « mésalliance ». Cependant, seize années n’avaient aucunement effacé une passion partagée et, avant Bayonne – ultime étape précédant l’Espagne -, Liszt avait donné deux concerts à Pau, les 8 et 11 octobre 1844, devant une jeune femme éplorée, désormais épouse du magistrat palois Dartigaux… L’écrivain Pierre de Gorsse a décrit cette rencontre : « Lorsqu’il pénétra dans la salle de concert, Franz Liszt la découvrit tout de suite, assise au deuxième rang. Vêtue d’une robe grise comme sa destinée, elle avait toujours sa même figure de petite fille, ses yeux mauves paraissaient plus grands qu’autrefois, plus tristes, plus profonds. Et son récital, c’est à Caroline Dartigaux qu’il l’offrait. Dans la salle, il n’y avait que deux êtres : au piano, un artiste inspiré et, dans les fauteuils, une femme pleurant son bonheur perdu… ».
Quel était donc le répertoire de Franz Liszt à cette époque ? Il jouait des fantaisies et des adaptations sur des opéras italiens (La Norma, Guillaume Tell, Lucia di Lamermoor), quelques compositions personnelles (du style Mélodies Hongroises, Grand Galop chromatique, etc.) Et, ce qui n’est pas le moins original, en concluant ses récitals, Liszt invitait son auditoire à lui proposer des thèmes sur lesquels il exécuterait des variations, par exemple une Jota aragonaise ou des airs andalous. A Toulouse, il joua sur l’air languedocien « campano que souno ». A Pau, on sait qu’il improvisa ainsi sur une chanson béarnaise de Despourrins « Là-haut sus la mountagno, u pastou malhurous »… Il joua également deux chants qu’il avait composés durant son séjour palois : « Faribolo Pastour, Chanson tirée du Poème de Franconnetto de Jasmin » (S.236/1) ainsi qu’une « Chanson du Béarn », avec comme légende « Pastorale du Béarn » (S.236/2). Les paroles de ces composition, en gascon agenais, étaient dues à Jacques Boé, dit « Jasmin », maître ès-Jeux Floraux à Agen, qui se revendiquait poète gascon.
Et pour son concert bayonnais, Liszt choisit-il quelque air populaire basque ou gascon ?
Par ailleurs, l’histoire ne dit pas si Caroline Dartigaux vint également à Bayonne afin d’écouter son amoureux. Mais, lorsqu’il rédigea son testament à Weimar en 1860, Liszt n’omit pas sa première passion en demandant que l’on « remette un de ses talismans monté en bague à Madame Caroline Dartigaux, née comtesse de Saint-Cricq à Pau ».
Le mécène du souvenir beethovénien
Quant à la tournée de Liszt en Espagne, après Madrid, l’Andalousie et un crochet par Lisbonne via Gibraltar suivi de concerts à Valence et Barcelone, le musicien revint à Bonn où eut lieu le 12 août 1845 sur la Münsterplatz l’inauguration du monument à Beethoven, une statue en bronze, œuvre du sculpteur Ernst Julius Hähnel, qui représente le compositeur, inspiré et prêt à saisir sur l'instant le fruit de son inspiration. Et Liszt financera encore la première salle Beethoven : construite en bois en onze jours par une centaine de charpentiers, menuisiers et décorateurs - telle un bâtiment de fête, avec des chapiteaux décorés, des frises peintes et des tentures sur les murs - et louée pour son acoustique, elle pouvait accueillir jusqu’à 2.500 visiteurs ! Devant toute l’Europe musicale, Liszt y dirigera la 5ème Symphonie, le final de « Fidelio » et il jouera splendidement le Concerto en mi bémol. Le troisième jour des fêtes sera réservé à la Cantate que Liszt avait auparavant composée pour ces festivités et dont les paroles sont dues à Bernhardt Wolff (critique musical et professeur de lettres à l’Université d’Iéna). En voici la traduction :
I. Pourquoi cette foule ici rassemblée ?
Quelle affaire vous conduit ici ?
Une telle presse ne se voit
D'ordinaire qu'un jour de fête.
Vous qui arrivez des monts et des vallées,
Dites ce qui vous amène ?
Et vous, étendus là sur les marches,
Dites, qui vous a appelé ici ?
Venez et amenez ce que vous avez de mieux,
Venez tous, riches et pauvres,
Avec vos plus plus beaux chants :
Aujourd'hui est vraiment un jour de fête.
C'est le jour de consécration du Génie !
II. Comme les vagues de la mer,
Les peuples se succèdent
Et passent dans les flots du temps.
Au-dessus d'eux, la voûte céleste,
Éternelle, immuable !
Mais sous leurs pas
Dans un perpétuel mouvement,
La Terre sans cesse changeante.
À peine né, l'instant s'enfuit,
Ce qui vit aujourd'hui mourra demain,
Toute génération porte sa propre dissolution
Et jamais n'obtiendra l'éternité.
Fugace est le cours des choses,
Sitôt paru, sitôt envolé :
Fuite perpétuelle, nul repos :
Seule la mort est éternelle.
III. Les peuples avant nous
Ont sombré dans la nuit des temps :
Seuls les noms de leurs princes signalent
Leurs exploits aux générations ultérieures.
Dans le grand livre de l'Histoire du monde,
Et pour le Jugement dernier,
Comme tenu par un sortilège,
Le prince représente son pays.
Mais les efforts de l'humanité
Doivent-ils aussi se noyer dans les flots du temps ?
Ne restera-t-il rien de leurs actes
Pour les temps futurs ?
Si le prince représente son peuple
Dans les annales,
Qui représentera donc leurs peines,
Qui témoignera de leurs souffrances ?
Qui parle en leur nom
Dans le grand livre de l'Histoire du monde ?
Qui fait resplendir leurs noms
Au fil des siècles ?
Pauvre humanité, sort cruel !
Qui sera ton mandataire
Au Jugement Dernier ?
Le Génie !
Son œuvre est à jamais grandiose et sincère.
IV. Lui, que nulle nuit n'enveloppe,
Jamais fourvoyé dans le vulgaire du quotidien,
Il unit l'Humanité à Dieu :
Lui, dont Dieu ceint le front,
Réconcilié avec le destin.
Il donne au temps
L'éclat de la plus éblouissante immortalité.
Son œuvre, comme lui,
Est semblable aux dieux :
Jamais il ne se soumet aux ans,
En héros, il triomphe de la mort.
Saint ! Saint ! Saint !
Le règne du génie sur la terre.
Il recouvre l'évolution du Sublime
Gage le plus sûr de l'immortalité.
Voilà ce qui nous a réuni !
Entrez dans cette ronde
Que ces riches heures
Honorent sa mémoire,
Lui qui nous regarde de là-haut, transfiguré.
Et dans les temps à venir,
Ce monument témoignera à la postérité
De la vénération de ses contemporains.
Salut ! Salut à toi, Beethoven ! Salut !