C'est en septembre 1920 qu'avait été inauguré le monument commémoratif des 157 Luziens tombés pendant la guerre, œuvre du sculpteur Maxime Real del Sarte élevée au milieu du square de Saint-Jean-de-Luz. D'après la presse de l'époque, une foule énorme et recueillie se pressait autour des autorités religieuses, militaires et civiles de la région : « parmi les notabilités officielles, on remarquait le maire de Saint-Jean-de-Luz et ses deux adjoints; Mgr Gieure, évêque de Bayonne ; le général commandant la 36e division ; MM. Catalogne et Le Barillier, sénateurs ; MM. Guichenné et Ybarnégaray, députés ; les généraux de Billy, Berteaux, Penaud et Galbruner ; MM. les chanoines Daranatz, secrétaire de l'évêché, et Bellevue, curé-doyen de Saint-Jean-de-Luz ; les maires des communes du canton, les fonctionnaires et les membres de la presse. L'auteur du monument assistait à l'inauguration ».
Quand on passe devant la Maison de l'Infante dont le nom évoque Marie-Thérèse d'Espagne qui résida dans cette élégante demeure de style italien lors de son mariage avec Louis XIV en juin 1660, on ne peut manquer de remarquer le médaillon en bronze à la gloire de « Louis le Grand ». Il devait initialement être posé sur la mairie mais, pour d'obscurs (et, sans doute, mesquins) calculs politiciens, on l'accrocha finalement à l’angle de la magnifique demeure de Joannot de Haraneder, ce riche armateur luzien anobli par Louis XIII pour services rendus au siège de La Rochelle. Un bâtiment non moins historique qui donne encore plus de visibilité à ce médaillon dont on oublie souvent qu'il fut réalisé par le grand sculpteur Maxime Real del Sarte.
Car, l’auteur de cette œuvre, au nom d’origine italo-espagnole et luzien d’adoption, descendait de l'illustre peintre florentin Andrea del Sarto (1486-1531) qui fit partie de la cohorte d’artistes italiens appelés par François Ier pour illustrer dans le royaume les Arts sous toutes leurs formes (il travailla, entre autres, sur le chantier de Fontainebleau et le château d’Urtubie à Urrugne conserve une de ses Madones).
La clef de voûte de l'artiste
Né le 2 mai 1888, Maxime Real del Sarte était issu d’une famille d’artistes : neveu du compositeur Georges Bizet, il fut le disciple préféré de l’éminent sculpteur Paul Landowski.
Pendant la guerre de 14, il perdit un frère à Verdun, et y laissa lui-même un bras. L'amputation - particulièrement tragique pour un sculpteur - de son avant-bras gauche à la suite d'une blessure aux Éparges, sur le front de Verdun le 29 janvier 1916, ne l'empêcha pourtant pas de retourner à ses sculptures et l’œuvre qu’il avait conçue en mars 1914, « Le Premier Toit », reçut le Grand Prix national des Beaux-Arts en 1921. Dans la biographie qu'elle lui a consacré chez Plon, Anne André Glandy a décrit cette sculpture : « Un homme et une femme agenouillés l’un en face de l’autre : dans un geste de protection l’homme relève la femme et la maintient tandis qu’avec tendresse elle cherche à s’appuyer sur lui. C’est le principe de la clef de voûte, la base de toute architecture ».
Dès lors, la notoriété de l’artiste installé dans son moulin de Billitorte à Chantaco alla grandissant, tant parmi ses amis que dans le monde officiel dont il reçut de nombreuses commandes. « De la main qui lui restait, note René Brécy, il a modelé cent ouvrages très variés, davantage peut-être conçus dans une méditation à la fois enflammée et subtile. Ne pouvant manier le ciseau, il a dirigé avec une étonnante maîtrise celui des praticiens, choisis entre tous, auxquels il lui fallait confier l’exécution de ses maquettes ».
Aussi, nombreuses sont les œuvres qu'il a laissées dans notre région : la statue de Jeanne d'Arc à Bayonne (sur les allées Boufflers), ainsi que des monuments aux morts comme celui de Guéthary, devant lequel le Général de Gaulle vint s’incliner en 1947, ou ceux de Saint-Jean-de-Luz et de Sare. Egalement à Saint-Jean-de-Luz, le Chemin de Croix de l’église Saint Jean Baptiste, posé en 1950, ainsi qu’une copie de sa « Jeanne au bûcher » (1927) placée près de l’autel du Sacré-Cœur. Real del Sarte est également l'auteur d'une très belle Vierge à l'Enfant destinée à l'église Saint-Léon de Marracq à Bayonne et de « L'Aube » ou femme nue, assise, en marbre blanc, au rond-point du Parc d'Hiver à Biarritz. Real del Sarte collaborait également avec l’orfèvre parisien Albert Schwartz et ses calices sont dans de nombreux musées régionaux et référencés au patrimoine, dont l’un gravé en hommage à la chouannerie.
Malgré les persécutions
Ce royaliste de cœur et de raison souffrit de véritables persécutions politiques orchestrées par la IIIème République. Pendant la Seconde Guerre mondiale, à Saint-Jean-de-Luz, il parvint à empêcher des excès de l'occupant et favorisa le passage de fugitifs vers la zone libre ou l'Espagne. Apprenant que des otages devaient être fusillés à Bordeaux, il prit le train pour Vichy, intervint auprès du maréchal Pétain et parvint ainsi à empêcher ce drame.
En mauvaise santé, il se retira définitivement dans sa maison à Saint-Jean-de-Luz où il s'éteignit le 15 février 1954.
On peut encore apercevoir son moulin de Billitorte depuis la route menant au quartier de Chantaco, à côté du golf et du ruisseau de Chantaco qui se jette dans l'étang de Billitorte, en fait un méandre de la Nivelle utilisé jadis pour faire fonctionner un moulin à marée.
En ce 64e anniversaire de la disparition de Maxime Real del Sarte, il serait juste de remettre à l'honneur les sculptures « à la force jamais dénuée d'élégance » d'un artiste sincère et humble devant les exigences de son art, également fidèle à des valeurs éternelles et exigeant dans l'affirmation de ses idéaux.