Après Thomas Ospital, Yves Bouillier, Olivier Seube et Elisabeth Lamarque qui ont évoqué leurs « premiers émois musicaux », voici le pianiste Thomas Valverde, fondateur et directeur de plusieurs festivals de musique à Biarritz qui nous conte l’histoire de sa passion pour la musique dans « La petite cassette jaune » :
J’avais 14 ans et je passais mon prix de piano au conservatoire d’Orléans. Au programme : Debussy et son « Isle Joyeuse » que m’avait proposé mon professeur de l’époque Muriel Beckouche, Chopin et sa première ballade que j’avais choisie, le premier mouvement de la sonate n°12 Op. 26 (thème et variations) de Beethoven qui était l’œuvre imposée et, enfin, le premier mouvement d’un concerto du répertoire qu’il nous fallait choisir et présenter à deux pianos avec l’un de nos camarades. Quelle bonheur cette épreuve ! J’attendais depuis si longtemps le moment de m’atteler enfin à l’une de ces montagnes dont j’étais déjà passionnément amoureux !
Parmi tous ces géants, le choix fut néanmoins évident. Il y en avait un en particulier qui faisait sens pour moi à ce moment-là. C’était celui qui était gravé sur les bandes de la petite cassette jaune et qui passait en boucle dans la voiture de ma mère, sur le chemin de mon école primaire : le concerto n°3 pour piano et orchestre de Ludwig Van Beethoven. A cette époque, Pollini était pour moi le meilleur pianiste du monde – également le seul que je connaissais du haut de mes huit ans - et Beethoven, le plus grand des compositeurs de tous les temps.
On grimpait à l’arrière de la Renault Espace avec deux ou trois de mes frères et aussitôt, je demandais à ma mère si elle pouvait mettre le concerto de Beethoven ! Je lui tendais la petite cassette jaune et je lisais intérieurement sur la jaquette les mots et les noms encore abstraits et lointains mais qui me semblaient déjà merveilleux : Deutsche Grammophon, Klavier Konzerte, Wiener Philharmoniker, Maurizio Pollini, Karl Böhm... La grande étiquette jaune était entrée dans mon inconscient avant que je ne sache vraiment ce qu’elle représentait.
Le trajet pour aller à l’école devait durer une vingtaine de minutes. Impossible d’écouter l’œuvre en entier et de surcroît, je risquais d’être désigné pour ouvrir le portail ! A l’aller, cela signifiait rater l’ouverture de l’orchestre. Au retour, c’était sortir de ce monde de géant un peu plus tôt que les autres. A chaque fois, j’espérais au moins ne pas manquer l’entrée fracassante du piano ou pire, la cadence du premier mouvement !
Je me souviens encore du cliquetis au moment où on insérait la cassette dans le lecteur. Le bruit de la bobine déroulait et l’orchestre apparaissait. La musique virevoltait, grondait, chantait ! Chaque fois, j’étais fasciné par la puissance de l’orchestre, la beauté du piano, enchanté par son dialogue avec les vents et par le pupitre des cordes sombres et volcaniques. La musique me transportait dans un autre monde et me faisait affronter tous les dangers. Je n’allais pas à l’école : je galopais avec panache au milieu des paysages de la Loire sur mon étalon ! La musique berçait l’insouciance de mon enfance.
A cette époque, je débutais à peine le piano. Myriam, mon premier professeur, venait donner une heure de cours par semaine à la maison. Ma mère suivait mon apprentissage et celui de mes frères le reste du temps. Des premières notes au concerto : le chemin allait être long ! Heureusement Il y avait une autre partition dont je rêvais et qui était à ma portée.
Mon grand frère Antoine l’avait jouée quelques années plus tôt : l’Invention N°1 à deux voix de J. S. Bach. Ce serait bientôt mon tour. J’ai ensuite toujours avancé ainsi, à l’image d’un alpiniste qui rêve de parois mythiques et planifie ses ascensions, j’envisageais les partitions comme autant de buts à atteindre et de rêves à réaliser. Ce souvenir de famille fut l’un de mes premiers émois musicaux et sans doute l’un des plus importants. Mais il y en eut bien d’autres et je pense notamment à la musique merveilleuse de Mozart, et à l’inoubliable voix du comédien Gérard Philippe qui en contait la vie. Il s’exclamait, sous les assauts de la 40ème symphonie de Mozart : « Mes enfants, mes amis, mes camarades, vous aimez la musique ? Connaissez-vous ce que vous venez d’entendre ? C’est la Symphonie en sol mineur de Wolfgang Amadeus Mozart ! »
Toujours sur une petite cassette... mais c’est une autre histoire !