L'inauguration à Biarritz de la stèle pour les victimes du génocide arménien vendredi dernier 29 octobre constitua une journée mémorable avec la participation de Madame Hasmik Tolmadjian Ambassadeur d’Arménie en France accompagnée de Hayk Khemchyan, premier secrétaire de l'ambassade. Un entretien tôt dans la matinée avec le maire de Pau Francois Bayrou fut suivi d’un déjeuner à Biarritz au Café de Paris avec les responsables de l'association AgurArmenie, puis d'une rencontre avec Madame Maider Arosteguy, maire de Biarritz, en prélude à la cérémonie commémorative de l’inauguration de la "Stèle de la Mémoire future" devant une centaine de participants, parmi lesquels le consul (h) de Russie et le prêtre de la communauté orthodoxe russe, le Père Nicolas Rehbinder. Après les vibrants discours en souvenir du génocide et les dépots de gerbes par le maire de Biarritz, le député Vincent Bru, AgurArménie et le Sous-Préfet de Bayonne, la journée se terminait par une collation sur la terrasse du restaurant "Les Baigneuses" au-dessus de la plage du Port-Vieux.
Pour Clément Parakian, président d'Agur-Arménie, « ce fut une cérémonie empreinte d’une grande tenue et d’une généreuse gravité. Tout commence maintenant, il nous faut nous appuyer sur cet événement improbable, la réalité d’une cristallisation de l’âme arménienne au Pays basque pour fédérer le plus d’amis possible.
Je suis passé ce matin de Toussaint devant la stèle, malgré le temps tempétueux, de nombreux touristes se sont arrêtés devant la stèle, une femme a photographié le petit monument en m’expliquant qu’elle avait une amie arménienne qui serait ravie de découvrir à Biarritz cette évocation de l’âme arménienne et du génocide. En 20 minutes, j’ai décompté 67 personnes s’arrêtant ou faisant des photos ; j’en ai été bouleversé ! »
Discours d’inauguration de la Stèle de la Mémoire future le 29 octobre 2021, par Clément Parakian
Au nom de l’association culturelle Agur Arménie du Pays Basque que j’ai l’honneur de représenter, je remercie la Ville de Biarritz, son Maire Maider Arosteguy et l’ensemble du Conseil municipal d’avoir laisser en partage un petit bout d’Arménie dans cet espace sacré : le Monument aux Morts de Biarritz symbole des sacrifices consentis à la pérennité de l’Humanité.
Notre Association et tous les Amis présents sont fiers d’accueillir Madame l’Ambassadrice d’Arménie en France Hasmig Tolmadjian accompagnée du Premier Secrétaire de l’Ambassade Monsieur Hayk Khemchyan.
Elle nous fait l’honneur de sa présence chaleureuse qui confirme et renforce l’amitié indéfectible de nos deux pays « frère et sœur ».
Je remercie également Monsieur le Sous-Préfet Philippe Le Moing de Surzur de sa présence renouvelée, le Député Vincent Bru toujours à nos côtés et toutes les personnalités locales, régionales, religieuses, administratives et anonymes qui spiritualisent notre Assemblée mélangée.
Ce 29 octobre 2021, le rêve de notre Association se réalise : la naissance de la Stèle de la Mémoire future à Biarritz, au Pays basque, en France.
La pensée arménienne, concentré de pudeur souvent désorientée commence à surmonter ses doutes. Ce lent mûrissement a demandé plusieurs générations. Sa culture des origines se transforme comme fondu-enchaîné, maintient vivante la mission sacrée transmise par les parents à savoir être Français et Arménien dans le respect des innocents martyrisés évoqués sur la pierre de mémoire.
Dans ce majestueux Monument national dédié aux victimes des guerres passées, l’âme du peuple arménien qui flotte dans les lointains depuis un siècle pourra se fondre dans la vaste nuée des victimes innocentes de tous les Génocides de par le Monde et de tous les temps.
Nous sommes réunis devant la stèle de grès rose de la Rhune, poussière d’étoile. Elle ouvre la porte d’accès aux deux mondes :
- le Monde des morts habité pour toujours par nos martyrs ossifiés et les Résistants arméniens qui ont donné leur vie pour la France au cours des deux guerres, je pense à Missak Manouchian de l’Affiche Rouge.
- Je veux vous citer le Lieutenant-Colonel L’Hospitalier en 1920 : « En échange de l’hospitalité, les Arméniens ont versé pour la France, le meilleur de leur sang, après lui avoir fait don de leur coeur. »
après le monde des Morts
Le monde des vivants, celui de l’éternité à venir.
Cette pierre devenue khatchkar, spiritualise l’alliance alchimique de l’Arménie fondue dans la France. Elle symbolise un carrefour de routes faites de rencontres et de fracas :
Une route gauloise, à l’origine phrygienne, elle va vers l’Ouest et est empruntée par les Galates, autre nom des Gaulois. La Galatie avait comme capitale Ancyre, l’actuelle Ankara, l’Angora de nos pères. Ces Galates d’Asie mineure seraient probablement à l’origine d’une partie de nos – je dis bien – nos ancêtres les Gaulois !
La deuxième route évoquée sur cette stèle est Basque, elle abrite la grande tribu euskadienne à la fierté, au courage et à la force légendaires. Et le hasard, mais est-ce le hasard- veut que de très nombreux vocables et personnages légendaires soient de parenté arménienne, un exemple parlant our et tchour signifient eau !
La croix basque le lauburu est symbole d’éternel retour à la ressemblance de la croix d’éternité arménienne.
La troisième route arménienne, itinéraire forcé de longs cortèges familiaux dans les déserts, tous suivaient leur propre cercueil funèbre : c’étaient des morts-vivants !
De nombreuses pages du Livre de l’Histoire arménienne sont noircies d’églises bondées et enflammées, et rougies des stigmates qui suintent des corps innocents titubant sur un chemin de croix définitif.
Ce jour est à marquer d’une pierre rose mais sombre, une pensée lancinante me tourmente : Comment comprendre que le peuple rescapé et expulsé de ses terres millénaires ait pu supporté dignement une telle humiliation ?
- Humiliation d’être banni de son territoire d’origine irrigué des rires, des joies, des pleurs, couvert d’églises et de croix-pierre à l’infini.
- Humiliation de subir la mention dégradante réfugié apatride sur les papiers d’identité, des papiers d’Arménie inodores des senteurs maternelles. La patrie, le village, la maison, lieux vitaux d’épanouissement n’existent plus pour l’éternité, oui l’éternité a déjà 106 ans !
On ne saurait vivre sans se référer à son origine, à sa terre, n’est-ce pas les amis basques et tous les autres.
- Humiliation pour mes parents comme pour leurs amis de se retrouver jeunes adultes dans la misère absolue au cœur de années-folles, la langue inconnue, les mœurs orientales décalées, la honte présente dans les requêtes, les demandes timides, les remboursements médicaux à solliciter, les formulaires à remplir (ah ! la nationalité du père!)
- Humiliation de ne jamais entendre le mot arménien pendant la traversée silencieuse de cinq décennies jalonnées d’interdits ou de recommandations familiales ; malaise des enfants devenant les parents de leurs parents désemparés.
Dans le grand livre d’Histoire de France, on recherchait vainement la mention de l’existence d’un pays oublié et de ses habitants, rien, jamais rien… nous étions transparents, c’est-à-dire nous traversions nos parents comme s’ils étaient des fantômes ! Aucune mention d’un génocide dans la première guerre mondiale, nous n’étions même pas un détail de l’Histoire !
Comment allions nous ré exister, nous qui apprenions pourtant par nos parents que le peuple arménien était le premier peuple chrétien depuis l’an 301. Et qui n’a pas réagi à la question terrible:«mais vous les Arméniens, vous êtes musulmans?» Nous ne savions répondre clairement, les questions restaient sans réponses, nous étions des invisibles.
Cette longue tranche de vie vécue par nombre d’entre nous ressemble à une mémoire en lambeaux, tissu effiloché, élimé, troué, qu’il nous faut raccommoder encore et toujours.
Heureusement, il existe depuis 30 ans un pays qui s’appelle République d’Arménie, je salue encore une fois son Ambassadrice et son premier secrétaire qui viennent constater notre volonté farouche de ne jamais renoncer à diffuser les valeurs arméniennes à travers sa culture. Cette Arménie revivifiée a vu hélas sa naissance enténébrée par le tremblement de terre meurtrier de 1988 ; le retour au pays du Haut Karabagh a été un espoir de courte durée, la guerre de septembre a montré la difficulté à être entouré de nations belliqueuses.
Dans ce monde sans boussole, notre identité constante est l’âme arménienne, elle est le seul passeport sans délai de validité et renouvelable à l’infini. Pour illustrer ce propos, laissez-moi vous citer William Saroyan poète arménien dans son livre « Mon nom est Aram » :
« Je voudrais savoir quelle force au monde peut détruire cette race,cette petite tribu de gens sans importance dont l’histoire est terminée, dont les guerres ont été perdues, dont les structures se sont écroulées, dont la littérature n’est plus lue, la musique n’est plus écoutée et dont les prières ne sont plus exaucées. Allez-y détruisez l’Arménie ! Voyez si vous pouvez le faire. Envoyez-les dans le désert. Laissez-les sans pain ni eau. Brûlez leurs maisons et leurs églises. Voyez alors s’ils ne riront pas de nouveau, voyez s’ils ne chanteront ni ne prieront de nouveau. Car il suffit que deux d’entre eux se rencontrent, n’importe où pour qu’ils créent une nouvelle Arménie »
Mais cette mémoire humiliée évoquée précédemment devient par résilience la marche palière menant aux étages futurs.
Nos parents et grands-parents, nos familles, rescapés miraculeux, ont serré les dents. Ils s’appuyaient encore et toujours sur les fondations éternelles et vitales que sont l’école, la foi, le courage, la connaissance, l’envie farouche d’apprendre pour revivre et mériter la chance inespérée de devenir Français dans un futur proche.
Ce futur nous le vivons aujourd’hui à Biarritz devant ce bloc de poussière d’étoile qui porte gravée l’âme vibrante de toutes les souffrances innocentes.
Cette stèle témoigne de la mort inexcusable qui a frappé tant de femmes, d’enfants et de vieillards mais elle percute l’étincelle génératrice des nouvelles destinées.
Devant ce menhir, je vous invite à être religieux dans le sens initial du mot : qui relie les hommes. Reliées, nos pensées forment un halo de lumière éclairant tous les malheureux, les sacrifiés innocents de la folie humaine, les Arméniens restant les précurseurs des victimes qui jalonneront le terrible 20 e siècle.
Depuis un siècle, les morts gouvernent les vivants.
Cette mémoire douloureuse qui imprègnent nos consciences, nos vies et aussi celle inconsciente de nos enfants doit laisser place progressivement à un futur régénérant.
La Mémoire future nous engage à écrire les pages d’un livre nouveau. Ses chapitres nous rappelleront notre mission originelle : accepter et dépasser la difficulté, être les messagers transmetteurs des valeurs humaines universelles, engager le dialogue avec les bourreaux pour sortir un jour qui sait de ce cauchemar indicible.
Cette stèle peut être le symbole d’une mémoire de sang qui se transforme miraculeusement en source d’eau claire.
Pour finir laissez-moi vous poser une question : Si Gandhi avait été Arménien ? qu’aurait-il fait en 1915 ?
Menk Hay Yenk / Nous sommes Arméniens.
Menk Fransiats’i yenk / Nous sommes Français.
Isk menk Bask yenk / Et nous sommes Basques.