A - Les chimères de nos cathédrales
Notre-Dame de Paris en compte 56 sculptées sur les balustrades de l'édifice. D'étranges compagnons de garde du site ajoutés par Viollet le Duc au XIX ème siècle pour illustrer le décor animalier de la cathédrale. Leur morphologie est fantastique et d'allure malfaisante. Somme toute de monstres de l'environnement naturel dont on voudrait toujours comprendre l'objet de leur ajout dans l'espace sacré cathédral ?
L'unité d'un corps de lion, d'attributs de chèvre et de la queue de serpent constituent cette alliance contre nature de la bizarrerie de la nature assemblée pour délivrer un message d'un animal qui au final crache le feu et l'abjection autour de lui .
Venu de représentations de l'antiquité comme Pégase, le cheval ailé en arme de tous les firmaments et de la terre la monture, la chimère se dresse pour un combat contre toutes espèces adverses et maléfiques. De tels monstres munis de tant d'attributs en lutte entre eux s'inspirent de rêves et de phantasmes et de vouloir concilier entre elles des alliances impossibles de l'imaginaire des hommes.
La littérature grecque en est nourrie. Homère cite ce monstre générique dans l'Illiade, alliance du lion féroce, de la chèvre innocente et du serpent démoniaque capable de surcroît de cracher le feu toxique de la mort.
Hésiode évoque la fille de Typhon et d'Echidna comme un tel monstre incomparable à soixante trois têtes. Le comble de l'horreur : pire de tout imaginaire de la mythologie antique, la chimère s'unit avec le chien Athos et donne naissance au sphinx.
Plutarque, à son tour, s'inspire de la chimère marine pour l'illustrer en corsaire et en pirate, démon dévastateur des mers. "La chimère est représentée de sexe féminin, instruisant les vents et tempêtes, des naufrages qu'elle incarne par son maléfice, et de tant de dévastations naturelles des volcans sous la terre."
L'ambivalence de tels personnages "chimériques" inspire des régimes et des royautés, des peuples ou des alliances ou à l'inverse des joutes guerrières aux effets destructeurs comme un génie capable de force et de défiance.
Pourquoi avoir ajouté en une cathédrale lieu de ferveur et de paix ces représentations sataniques et maudites par le commun des humains ? Le sujet fait débat et nourrit des opinions opposées. Des destins irréalisables et surhumains chez les hommes, des adversités insurmontables condensées en ce bestiaire étrange et posé pour l'éternité en un lieu par excellence voué à la concorde et à l'unité? Oui, sans doute, mais encore le combat inachevé de cet espace sacré contre tous les défis des maléfices, guerres, épidémies, famines, incivilités qui dressent les hommes entre eux à toutes les époques de leur histoire. On serait tenté de les confondre avec les gargouilles du Moyen Age mais il n'en est pas le fait. Ce furent à Notre Dame "des illustrations de dessinateurs tel Daumier dont les croquis retenus en 1844, et ceux du livre "Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France", qui servirent de modèles pour habiller ce décor extérieur de l'édifice parisien de tels sujets pour la postérité. Car, disent les historiens, l'obsession de ce siècle des idées et des vies humaines était traversée d'homophobie, d'images de dégénérescence, de figures simiesques ou primitives, et dans les idées du temps d'un antisémitisme récurrent, ou de schémas de la création contrastés entre les mieux lotis et les inférieurs par nature ou naissance." La photocopie de ces figures chimériques en étant une illustration proche.
On découvrira à terme 15 de ces figures sculptées qui se logeront sur les hauteurs de Notre-Dame. Avouez que leur présence ne choque personne, bien que les idées modernes de cette communauté de destin normal, anormal, des genres et des attributs sexués, ne soient aujourd'hui objets de grâce et de culture agréée dans ces cercles militants mal disposés à les identifier à leur croyance !
Leur ambivalence et leurs forces de vampire qui agissent nuitamment en cet univers phare de la Cité parisienne, interrogent toujours à chaque époque. Les écrivains n'eurent de cesse de vouloir interpréter les influences mythologiques et imaginaires évoqués par chaque chimère d'origine antique aux atours contemporains. Mais leur concordance fait défaut car à chaque génération successive le commentaire se modifie mais leur présence demeure.
B - Les gargouilles, aussi
Tel le pélican de bon secours et providentiel, des sujets à tête de chiens, l'alchimiste étrange, la figure de stryge de ce Moyen-Âge où cette inspiration demeurait continue, ces apparences de basilics, de griffons furent des inspirations de sculptures médiévales que d'aucuns diront, ne sont plus des chimères mais elles ne furent étrangères à cette origine. Que dire encore du Minotaure, autre gargouille dont la cathédrale de Laon aurait le privilège de disposer dans son patrimoine en 1220 comme à Noyon et Notre-Dame à Paris, dans une tradition et un style bien français !
Un profil anthropomorphe pour l'intérieur de l'édifice et pour les menaces venues de l'extérieur. On présume ainsi de la raison de cette permanence et de l'attachement des fidèles des lieux pour ces représentations.
Les origines de ces sculptures proviendraient de l'Antiquité égyptienne, telle le temple d'Hathor servant pour assurer le conduit des eaux pluviales sans doute, mais bien davantage pour le confort des divinités du sanctuaire concerné.
Les premières églises cathédrales n'en disposaient pas mais à partir du XIIIème siècle soulignent les historiens il fallut protéger les édifices des infiltrations d'eau et des dégâts occasionnés, et ajouter ces gargouilles où spontanément le compagnon bâtisseur apportait son empreinte personnelle.
L'intention des artisans de ces sculptures hissées sur les toitures romanes et gothiques des lieux consacrés n'étaient sans doute pas spirituelles. Mais la noblesse esthétique qui les inspirèrent donne des siècles après de la saveur exquise à leurs œuvres d'art séculaires.
Si le chien est le meilleur ami de l'homme en ces lieux il demeure aussi le meilleur ami du créateur par la majesté de leur présence en souverain de tels lieux !
Citons ainsi les gargouilles de Troyes, Certaines sont encore des catéchèses morales de la vie personnelle, illustrant les sept péchés capitaux, invitant les visiteurs de ces espaces à la re conversion, dans la tradition médiévale de leurs auteurs, comme talisman pour éloigner toute force maléfique et se mettre sous la protection de l'Eternel !
La proximité physique et visuelle des chimères d'un côté et des gargouilles posait question de toute évidence. Les figures satyriques ne semblaient avoir disparu des paysages légendaires des croyances des populations. La cathédrale attirait sans doute les convertis et les moins disposés, sans renoncement à des superstitions ambiantes des époques et des lieux. La légende de saint Romain en sera une parmi d'autres. Mais en voulant l' effacer de toute mémoire, on pouvait lui donner par la pierre sculptée à de telles effigies une postérité qui demeure toujours.