Après la dernière glaciation de Würm, le climat, d'abord froid, devient tempéré, humide ; un épais manteau de conifères puis d'arbres à feuilles caduques constitue le « Saltus Vasconum » ou forét impénétrable des Vascons que seule traversera la route Bordeaux-Astorga par Saint Jean Pied de Port, futur chemin des pélerins de Saint Jacques, et que bordera un itinéraire côtier protégé par l'oppidum romain de Lapurdum, origine de la ville de Bayonne.
Il y a moins d'un siècle encore, malgré des millénaires de défrichements, il suffisait d'emprunter la route dite « impériale » ou stratégique, en mémoire de Napoléon, pour ressentir profondément la profondeur et l'isolement de ces forêts :
« On monte et on descend sans cesse, ayant à droite et au loin, la série des montagnes, depuis la Rhune jusqu'au Baïgoura, qui semble un rideau de soie bleu-changeant ; et à gauche, des landes de fougères rougeâtres indéfiniment étendues, formant un véritable désert, tout enveloppé de silence, avec parfois, quelques lointains bêlements ou bruits de clochettes qui rendent plus saisissante encore l'impression de solitude. Alors on songe. Ce pays était autrefois couvert d'arbres sombres, nos chênes. Il fallait cheminer longtemps dans cette forêt coupée de ravins. On débouchait enfin au carrefour de trois ou quatre vallées, dans un groupement de maisons serrées autour d'un clocher ». L'endroit s'appelait Haitz-barne (dans les chênes), et n'était autre que la commune d'Hasparren. Quel devait être autrefois l'isolement de ce hameau perdu dans les bois, et quelle vie, si proche de la nature, de sa population toute agricole et forestière !
S’ajoutant à la langue et aux réminiscences des temps anciens, le relief du pays n'a pas manqué, lui non plus, de laisser son empreinte sur la sensibilité des habitants. Car, si divers sont les aspects des montagnes basques, lorsque vous cheminez dans quelque vallée autour de la Rhune ou du Mondarrain, qu'elles vous sembleront vivantes : par une échappée le sommet vous regarde tout d'un coup, nu et pelé, vers qui vole un vautour, à l'œil rouge et aux ailes immobiles. Puis il disparaît pour revenir suivre vos pas au prochain détour du sentier. Un moment, il réapparaîtra nimbé d'une transparente vapeur d'argent, puis un méchant nuage sombre, surgi d'on ne sait où, en prendra possession avec jalousie et brutalité. Plus loin, un torrent, dans sa chute, vous crie des paroles presque intelligibles ! L'euskarien primitif, moins distrait que nous par l’agitation moderne, en éprouvait certes du trouble et de la gêne, qu'accentuaient encore les « voix » de la nature profonde qui le dominait, l'enveloppait, lui parlait, et dont les manifestations lui inspiraient le respect dû à une personnalité vivante.
L’ethnologue Gilberte Reicher avait remarqué combien la puissance des pierres, si elle remontait au début des âges, restait encore entière en ce début de XXe siècle, pourtant fertile en découvertes techniques ! Ayant déjà observé un vieux pâtre « jaugeant » volontiers la chute d'un bloc de rochers dans la Nive, elle le retrouvait deux ans plus tard, assis sur la rive à regarder fixement le rocher lorsque cette falaise commençait à glisser. Et elle se surprit à penser : renouvelait-il inconsciemment, ce vieillard, l'effort magique des ancêtres, surveillant la chute des pierres, sinon ennemies, du moins dangereuses, car menaçant le troupeau ? Voulait-il fixer leur point de chute, en leur commandant ?
A l'ombre des forêts.
Le témoignage des auteurs les plus anciens nous indique combien dense était la chevelure forestière recouvrant le versant nord atlantique du Pays Basque. Au début, vraisemblablement, seules quelques bandes de terre peu étendues, le long des côtes, à proximité des cours d'eau ou dans le creux plus fertile et mieux abrité des vallons étaient habitées et consacrées à la culture : Bayonne, Hasparren, Saint Jean, Baïgorri...
Peuplements chétifs, espacés et isolés les uns des autres par de vastes étendues incultes et boisées, telle était la physionomie peu engageante offerte par une région dont la traversée effrayait tant les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle et les marchands se rendant en Espagne !
En témoigne également la toponymie basque, où les noms de villages, de quartiers, de familles et de lieux en général, empruntés fréquemment à l'arbre ou à la forêt, chantent l'abondance des bois et les essences qui les peuplaient : Bassussary (baso-sarri, entrée du bois) semble bien signifier le départ de l'immense forêt basque depuis les bois d'Urdains, de Berriotz et de Saint Pée. Et non loin de là, les très fréquents « basseboure » et « basaburu » (le bout du bois), quartiers éloignés de Larressore, Cambo, Espelette, Aïnhoa, se situaient à l'orée des épaisses frondaisons s'étendant de l'intérieur du pays jusqu'à la côte océane.
Des lieux dits et des noms de famille ont « Oyhan » (la forêt) pour base : Oyhenart, Oyhanberri, Oyhanburu qui, francisé, a donné Doyhamboure, tout comme Lissarague provient du frêne « Leizar », Halsou de l'aulne « Halz », Urcuray et Urcuit du bouleau « Urki », Espelette du buis « Espel », Jatxou et Jaxu du genêt « Jats », Sarasquette du saule « Sarats », Gastambide du châtaignier « Gaztena », Pagolle du hêtre « Phago ». Nous pourrions encore citer le noisetier « Urritz », l'aubépine « Elhorri », jusqu'au chêne tauzin « Ametz » et le chêne pédonculé « Haritz » qui fournit son nom au maréchal Harispe !
C'était encore dans les bois que se réunissaient les « kapitos » des villages ou assemblées capitulaires des chefs de maisons, il en restera le Kapito-Harri, sous les chênes d'Ustaritz, la « Cour du Noyer » assemblée sous le noyer de Licharre, en Soule (le nom d’Inchauspé porté par d’illustres joueurs de pelote basque et deux banques régionales a la même provenance), et le célèbre chêne de Gernika sous lequel les rois de Castille juraient de respecter les fors ou fueros, c'est à dire les franchises de provinces qui s'étaient librement placées sous leur sceptre.
(Extrait de « Rendez-vous au Pays Basque » d’Alexandre de La Cerda, éditions Sud Ouest)