Au coeur de Biarritz il y a 22 ans, en septembre 1999 et à deux pas de la villa qu'occupa jusqu'à sa disparition le grand violoniste basque Sarasate dans la rue voisine qui porte son nom, on avait dévoilé au 9 de la rue de la Frégate une plaque en mémoire d'Igor Stravinsky, habitué de Biarritz où il composa plusieurs morceaux et présenta son "Oiseau de feu" au Casino Municipal.
Nicole Rodrigues-Ely, descendante du propriétaire du "Chalet des Rochers" qui avait loué sa maison à la famille Stravinsky, avait eu l'excellente idée d'inscrire l'événement dans la postérité en apposant une plaque sur sa façade. L'idée en avait surgi lors d'une conférence sur Stravinsky prononcée auparavant par Etienne Rousseau-Plotto : titulaire des orgues de Saint-André à Bayonne et professeur d'histoire au collège Jean Rostand à Biarritz, il avait alors évoqué avec intelligence et sensibilité la figure du compositeur russe à Biarritz, en s'aidant d'un texte de Cocteau et d'extraits de la presse de l'époque lus par Gaël Rabas du théâtre du Versant, et d'un extrait de l'opéra "Mavra" que Stravinsky y avait écrit.
On l'imagine rencontrant ses amis, en particulier Coco Chanel qui protégeait ses amis russes démunis et avait financé une nouvelle création du "Sacre du Printemps" par Diaghileff : c’est d’ailleurs sur ses conseils que Stravinsky s’était établi sur la Côte Basque en s’installant d’abord au cottage de l’Argenté à la Chambre d’Amour à Anglet (en 1921).
Il y avait encore Picasso, dont il avait fait la connaissance peu auparavant, à Rome, par l’intermédiaire de Diaguileff. De sa riche et prolifique amitié naîtront trois célèbres portraits de Stravinsky réalisés par le peintre espagnol.
Et Rubinstein, qui résidait au Palais... Dans ses mémoires, le pianiste polonais relate comment, à part ses démêlés avec Beliankine (un parent de Stravinsky) et la création d'une « boîte russe » à la villa Belza qu'il lui avait "soufflée", il pouvait - grâce à un piano droit convenable envoyé de Bayonne - se consacrer à son nouveau répertoire dans « un charmant appartement au rez-de-chaussée de l’hôtel du Palais dont les fenêtres ouvraient sur la mer, à quelques pas ». Et les après-midi, il allait voir Stravinsky, qui travaillait à « Mavra » (un opéra bouffe en un acte sur un livret de Boris Kochno, d'après "La Petite maison dans la forêt" d'Alexandre Pouchkine), mais réservait «un peu de temps à cet arrangement de Petrouchka qu’il lui faisait voir page après page, à mesure qu’il composait ».
« J’osais à l’occasion lui suggérer un truc ou deux pour obtenir une sonorité plus flatteuse, par mon jeu particulier de pédale, et lui conseiller d’alléger les textures en laissant tomber un peu des voix secondaires de la partition d’orchestre. De temps en temps, il venait me voir l’après-midi pour me faire voir des fragments de “Mavra” ou comment “Petrouchka” avançait. »
« Stravinsky avait fini Petrouchka », notait avec satisfaction Rubinstein. « Il était, heureusement pour ,un pointilleux copiste de ses propres oeuvres, à la différence de Beethoven dont le copiste aurait pu finir dans un asile de fous. Le manuscrit de sa sonate « Petrouchka » était un cadeau royal, méticuleusement calligraphié dans une petite brochure étroite agréablement reliée. Pour l’écrire il avait utilisé un truc à lui pour tracer les portées, son invention : un cylindre à cinq roues tenues entre des montants réglables. Quand on le plongeait dans l’encre, il traçait tout juste les portées dont on avait besoin, ni moins ni plus. S’il voulait en ajouter en haut, il pouvait rétrécir l’espace entre les roues et obtenir des lignes plus étroites : il était tout fier de son invention. La première page contenait le titre et la date, superbement calligraphiés, et au-dessous venait la dédicace en russe : « À mon ami Arthur Rubinstein, grand artiste, en pleine propriété », avec sa signature. Il contenait les trois mouvements : « Danse russe », « Chez Petrouchka » et « la Semaine grasse ». Sa transcription était éblouissante. Il vous faisait entendre tout l’orchestre. Mais c’était très difficile à exécuter ! Quand je lui fis quelques remarques touchant des passages qui risquaient de retarder la progression dramatique de l’ensemble, il me dit: « Joue-le comme tu l’entends. Je te donne carte blanche. »
Au moment où dans la chaleur de cette fin d’été Stravinsky y préparait son concert, le Casino Municipal accueillait dans ses salons le vernissage de ma tante « Sophie de Roberty de La Cerda, artiste déjà connue et appréciée de Biarritz, dont l’élégant atelier de peintre à Paris est si couru », écrivait le critique du « Courrier de Bayonne ».
Mais ceci est une "autre histoire", que je relate dans mon livre "La tournée des grands-ducs - les Russes sur la côte atlantique" édité chez Atlantica. Chez le même éditeur, "Stravinsky à Biarritz" d'Etienne Rousseau-Plotto.