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Cinéma
La critique de Jean-Louis-Requena
La critique de Jean-Louis-Requena
© DR - « La Llorona » de Jayro Bustamante

| Jean-Louis Requena 717 mots

La critique de Jean-Louis-Requena

« La Llorona » - Film guatémaltèque de Jayro Bustamante – 97’
Guatemala City. Dans un grand salon cossu, des femmes de la bonne société, entraînée par Carmen (Margarita Kenéfic), psalmodient, en boucle, une prière. Dans une autre pièce, des hommes aux mines sévères, « cornaqués » par un avocat, débattent de la façon de se comporter lors d’un imminent procès : ce sont des militaires qui ont été sous les ordres du général Enrique Monteverde (Julio Diaz). Ce dernier à la stature frêle, visiblement malade, déclare d’un ton martial qu’il ne cèdera ni aux « guérilleros » ni aux « communistes ». Une longue guerre civile a ensanglanté le Guatemala durant 36 ans (1960/1996). Le général a un moment, après son « golpe » (coup d’Etat), commandé des troupes militaires et des groupes d’autodéfenses civiles (miliciens formés par l’armée).
Au procès qui suit, le général est accusé de génocide contre la population paysanne d’origine maya. Une femme maya en costume traditionnel, parlant sa langue (un des nombreux idiomes mayas), porte à son égard de terribles accusations aussitôt traduites en castillan (espagnol). Les gens présents dans la salle d’audience approuvent bruyamment. Face à la « bronca », le général Enrique Monteverde est saisi d’un malaise. Il est évacué du tribunal. Après un court séjour à l’hôpital, il est ramené chez lui dans sa luxueuse maison.
Cloîtré dans son domicile, diminué, malade (insuffisance respiratoire), il souffre également d’insomnie. Sa femme, Carmen, à la personnalité rigide, arrogante, a des problèmes de vue (conjonctivite). Ils forment un couple à la santé défaillante mais soudé dans l’adversité. Une petite troupe entoure le général : sa fille, Natalia (Sabrina De La Hoz) médecin, la quarantaine, sa petite fille Sara (Ayla-Elea Hurtado) âgée d’une dizaine d’années, son aide de camp, garde du corps, Letona (Juan Pablo Olyslager). Les domestiques, tous mayas, demandent leurs congés et partent, sauf la vieille Valeriana (Maria Telon), attachée depuis toujours à la famille du général.
Dehors, tout autour de la propriété, une manifestation gronde sans discontinuer : les gens réclament la justice en agitant des drapeaux, des croix, des effigies des disparus… Ils haranguent, chantent, crient sans cesse : c’est un fond sonore ininterrompu, lancinant.
Une jeune femme, tout de blanc vêtue, fend la foule des manifestants et se présente à l’entrée de la demeure du général : c’est Alma (Maria Mercedes Coroy), une maya au port mystérieux, au beau visage de statue, qui est accueillie par Valeriana. Celle-ci la présente à la famille : c’est la nouvelle servante.
Alma est une jeune femme mystérieuse qui accomplit les tâches domestiques sans rechigner… 
Le général est victime d’hallucinations. Devient-il sénile, en proie à de violentes pulsions incontrôlées ? Il entend des pleurs dans la nuit. Est-ce la « Llorona » qui vient le tourmenter ?
Le mythe traditionnel de l’Amérique Latine
Jayro Bustamante (43 ans) clôture sa trilogie guatémaltèque (« Ixcanul » – 2015, « Tremblements » – 2019) par un dernier long métrage, « La Llorona », transposition cinématographique d’un courant de la littérature Latino-Américaine : « Le Réalisme Magique » de son compatriote Miguel Angel Asturias (Prix Nobel de Littérature 1967). Il réactualise le mythe immémorial, traditionnel, de l’Amérique Latine : « La Llorona » (La Pleureuse). Il en existe d’innombrables versions (récits, contes, chansons, etc.). La « Llorona » serait une âme féminine, pleurant la nuit, à la recherche de ses enfants perdus ou tués, près d’un fleuve ou d’un lac. Seuls les coupables l’entendent pleurer.
Jayro Bustamante, réalisateur et scénariste a repris ce mythe populaire, circulant encore de nos jours dans les pays d’Amérique Latine, pour nous proposer un huis clos ou les bruits à l’intérieur de la maison hantent le général, le poursuivent malgré son acquittement de crime contre l’humanité. Peu à peu, sous la pression de la rue d’où montent des grondements incessants, du comportement de plus en plus erratique du général, des doutes sur sa culpabilité s’insinuent dans sa famille.
Le réalisateur, grâce à sa mise en image et en son très intelligente (longs travellings arrière, sons étouffés, etc.), nous fait ressentir le malaise croissant de ce groupe humain retranché dans une vaste demeure avec jardin et piscine, où la conduite des uns et des autres se dérègle sous la poussée du dehors. Paradoxalement, c’est un film « hors champs » : l’important n’est pas ce qui est visible, mais ce qui est invisible, hors cadre. Afin d’améliorer la qualité visuelle du récit, Jayro Bustamante a tourné en argentique (pellicule) de 35mm et en scope (format large : 2.35 :1).
Au Festival Biarritz Amérique Latine 2019, La Llorona a obtenu le Prix du Public.

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