Un homme intègre - Film iranien de Mohammad Rasoulof – 118’
L’Iran est une République Islamique depuis que le Guide Suprême, l’ayatollah Rouhollah Khomeni s’est installé en maître à Téhéran en février 1979. Très rapidement, profitant de la décomposition des instances dirigeantes après le départ précipité du Shah d’Iran Reza Pahlavi, et de l’éclatement de la société iranienne, les nouveaux dirigeants se sont emparés de tous les leviers du pouvoir. Les théologiens armés sont des ennemis redoutables pour tout adversaire car à la foi (chiisme duodécimain) s’ajoute l’épée (les gardiens de la révolution). Ainsi, perdure depuis lors un régime politique religieux, nébuleux, qui accapare tous les niveaux décisionnels de la société iranienne : exécutif, législatif, forces armées, polices, justice etc. Au régime autoritaire du Shah a succédé une théocratie religieuse non moins autoritaire.
Le film commence comme une fable paysanne. Reza (Reza Akhlaghirad) exploite dans le nord de l’Iran une ferme piscicole pour laquelle il s’est lourdement endetté. Sa femme Hadis (Soudabeh Beizaee) est directrice d’une école de filles. Avec sa femme et son fils, il forme une famille aimante, travailleuse, sans histoire, mais aux revenus aléatoires en ce qui le concerne. Son banquier lui propose de payer un bakchich aux prêteurs plutôt que de rembourser des pénalités de retard plus lourdes. Reza refuse ce compromis : il veut rester dans la légalité, même s’il doit en pâtir financièrement. A la suite d’un désaccord avec un puissant voisin qui coupe l’alimentation d’eau à ses étangs, et l’intervention d’une mystérieuse compagnie qui convoite ses terrains, il est harcelé de toutes parts. La police l’arrête. Il est jeté en prison sans se faire entendre de quiconque (commissaire, juge). Cet homme intègre, sans compromis, au regard dur, ne veut céder sur rien malgré l’avertissement de son beau-frère : « dans ce pays, ou tu es oppresseur, ou tu es oppressé ! ».
La fable paysanne tourne alors au thriller kafkaïen !
Mohammad Rasoulof, réalisateur, scénariste, nous propose un récit haletant de deux heures qui est une analyse au scalpel de la société iranienne, près de quarante ans après la révolution islamique. La corruption active ou passive gangrène toutes les strates de la société : la conformité obligatoirement affichée des mœurs (soumission à l’autorité réelle ou supposée) a créé une opacité des comportements. L’on ne sait pas vraiment qui est qui dans cet antre obscur. Au-dessus d’un responsable, il y a un autre responsable invisible, menaçant, que peu de gens connaissent. Tous et tout se chevauchent, s’entremêlent : les instances décisionnaires sont pour le moins doublées, le laïque et le religieux se mêlent, il est impossible de trancher en toute connaissance de cause.
Le récit filmique ne nous laisse aucun répit, à la manière de films roumains que nous avons vus récemment, comme « Baccalauréat » de Cristian Mungiu ou le magnifique film russe « Léviathan » d’Andreï Zviaguintsev, qui traitent de sujets proches : la corruption destructrice d’une société nationale ou familiale. La lutte d’un homme intègre contre un système corrompu dont tout en chacun s’accommode. Seul contre tous, Reza, l’homme intègre va-t-il, par son entêtement, détruire sa famille ou gagner ?
Dans l’Iran d’aujourd’hui, en dépit de l’élection de Hassan Rohani à la Présidence de la République qui a quelque peu « assoupli le régime », il faut un courage affirmé pour déposer un scénario certes édulcoré, puis tourner un film dénonciateur. D’autant que Mohammad Rasoulof, tout comme son confrère Jafar Panahi (Taxi Téhéran), est sous le coup d’une inculpation, condamné à un an de prison pour son film précédent Au revoir (2011). Il ne sait toujours pas depuis 2011 quel sort lui réserve le régime actuel depuis qu’il est rentré en Iran. C’est la force de ces régimes autoritaires : la non intelligibilité de leurs intentions qui génèrent le désarroi, la soumission, et au final la peur.
Un homme intègre a été présenté au dernier Festival de Cannes dans la section « Un Certain Regard » ou il a remporté le prix. C’est un film à voir, toutes affaires cessantes !
Jean-Louis Requena