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Cinéma
Oh, Canada (95’) - Film américain de Paul Schrader
Oh, Canada (95’) - Film américain de Paul Schrader

| Jean-Louis Requena 716 mots

Oh, Canada (95’) - Film américain de Paul Schrader

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Oh, Canada de Paul Schrader ©
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Taylor Jeanne, Penelope Mitchell, Paul Schrader, Alejandra Gere, Richard Gere, Homer James Jigme Gere, Uma Thurman au Festival de Cannes.JPG
Taylor Jeanne, Penelope Mitchell, Paul Schrader, Alejandra Gere, Richard Gere, Homer James Jigme Gere, Uma Thurman au Festival de Cannes ©
Taylor Jeanne, Penelope Mitchell, Paul Schrader, Alejandra Gere, Richard Gere, Homer James Jigme Gere, Uma Thurman au Festival de Cannes.JPG

Montréal au Québec (Canada). Dans la grande pièce sombre d’une belle demeure, une équipe de tournage s’affaire. Le documentariste renommé, Malcolm MacLeod (Michael Imperioli) fait installer un dispositif léger afin d’enregistrer l’interview-confession de son maître Leonard Fife (Richard Gere) dont il a été élève dans une école de cinéma. Leonard Fife souffre d’un cancer au stade terminal. En présence de sa femme Emma (Uma Thurman), également ancienne élève, il veut sur fond noir, face à la caméra lui, l’ancien baroudeur, relater sans filtre, sa vie mouvementée.

Le dispositif d’enregistrement simple est achevé. Dans la pièce sombre, Leonard arrive sur une chaise roulante poussée par Emma. Ce dernier, cadré en gros plan, sur fond noir, répond aux premières questions de Malcom …

Dans les années 1960, le jeune Leonard Fife (Jacob Elordi) vivait en Virginie avec sa première épouse, Diana (Victoria Hill), laquelle attendait leur deuxième enfant. Son beau père lui propose de devenir un cadre important dans l’entreprise familiale florissante ainsi que de lui prêter une somme d’argent pour s’installer dans l’état du Vermont (nord-ouest des États-Unis). Leonard veut devenir romancier. Sur un coup de tête, il décide de partir, fuyant le domicile conjugal mais semble-t-il aussi, pour échapper à la conscription : la guerre du Vietnam (1955/1975) bat son plein avec l’intervention massive des américains. Il s’échappe en voiture pour le Canada où des déserteurs trouvent refuge. Mais est-ce là le seul vrai motif ?

Au cours des séances d’interviews, Leonard fatigué s’embrouille dans le récit des évènements et des dates. Ses aveux sont-ils sincères ou manipule-t-il l’auditoire ? Affaibli, parfois confus, ment-il ?

Le réalisateur et scénariste Paul Schrader (68 ans) nous livre avec Oh, Canada, une œuvre mosaïque, fragmentée entre le passé retrouvé (manipulé ?), et le présent funeste (cancer en stade terminal) : 60 ans de la vie d’un homme qui s’est peut-être refugié dans le documentaire cinématographique pour fuir et se fuir. Sa renommée internationale a, en quelque sorte, masqué sa véritable existence. Oh, Canada est une adaptation du dernier roman de Russell Banks (1940/2023) Foregone (Inéluctable en version originale paru en français en 2022 chez Actes Sud sous le titre Oh, Canada, titre repris par le réalisateur). Paul Schrader était un ami intime de l’écrivain dont il avait déjà adapté un livre, Affliction en 1997, paru en France chez le même éditeur, avec le même titre.

Paul Schrader est un excellent scénariste dès le début de sa carrière en écrivant deux chef-d ’œuvres pour le réalisateur Martin Scorsese : Taxi Driver (1976), Palme d’or au Festival de Cannes et Raging Bull (1980). Il signe un premier film, remarquable, Blue Collar (1978) et dès lors sa filmographie comprend 23 longs métrages dont il a rédigé, sans exception, les scénarios. Ses trois précédents ouvrages étant à narration linéaire et centrée sur un seul point de vue, Sur le chemin de rédemption (2017), The Card Counter (2021) Master Gardener (2022), il a décidé de fabriquer un long métrage à plusieurs temporalités. Il déclare à ce sujet : « Le film mosaïque permet de multiplier les points de vue, d’aborder les choses sous différents angles à différentes époques. J’ai, donc pris le soin de mêler les différentes temporalités à travers un dédoublement de la narration ». 
Pour ce faire Paul Schrader n’hésite pas à employer un langage cinématographique plus complexe que de coutume : Quatre époques intriquées et quatre formats d’image (de l’écran large au format carré en passant par les formats intermédiaires). De la couleur décolorée pour la jeunesse de Leonard, sombre pour sa vieillesse, noir et blanc pour ses brefs souvenirs d’enseignant. L’ensemble de ce dispositif ne nuit pas à la fluidité du récit avec ses différentes strates narratives (présent/passé). L’ensemble est lié par une voix off volontairement « plate ».

Richard Gere (75 ans), l’interprète de Leonard Fife (quarantenaire et mourant), retrouve son pygmalion qui l’avait lancé 44 ans auparavant dans un célèbre film, American Gigolo (1980), à l’antipode de sa dernière performance. L’acteur amaigri, cheveux blancs, voix faible, incarne à merveille cet homme complexe au seuil de la mort, à la mémoire diffractée.

Oh, Canada (Ô Canada, hymne national du pays !) est un film attachant sur le parcours terrestre d’un homme célèbre, encensé, comme déjà figé dans l’histoire du documentaire, et qui se débat avec ses vérités, ses mensonges, sa culpabilité. Somme toute, au seuil du grand saut, le portrait d’un homme ordinaire.

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