Il y a 133 ans, le 19 février 1888, disparaissait Jean-Delphin Alard, l'un des plus grands violonistes français de sa génération.
Fils d'un père violoniste amateur, Jean-Delphin est né le 8 mars 1815 à Bayonne. Dès ses premières années, le jeune Jean-Delphin est attiré par la musique, suivant par exemple avec intérêt l'Orchestre de la Musique Militaire qui jouait sur la place de la Liberté à Bayonne. Son père sait parfaitement nourrir la passion de son fils en lui faisant étudier le solfège, le chant, puis le violon dès l'âge de six ans.
Ses progrès sont tels qu'en 1825, alors âgé de 10 ans, le jeune Jean-Delphin interprète en concert le 12ème concerto de Viotti au Théâtre de Bayonne. Le public est subjugué par l'excellente prestation du jeune garçon et le professeur ainsi que tous les amis de la famille Alard convainquent les parents d'envoyer le jeune prodige étudier à la capitale.
Ce qu'il fera dès l'âge de 12 ans en entrant au conservatoire de Paris dans la classe de violon de François- Antoine Habeneck.
Bien qu'il soit encore très jeune, l'adolescent commence à se faire une réputation parmi les élèves du conservatoire ; sans doute que sa rencontre avec l'immense Niccolo Paganini venu écouter quelques élèves du conservatoire sera un moment fort pour le jeune bayonnais.
Paganini entend Jean-Delphin Alard jouant une polonaise de Habeneck ; son enthousiasme est tel qu'il déclare : « Si les élèves jouent ainsi, comment doivent jouer les professeurs »...
Quelques mois plus tard, le jeune Alard dédiera d'ailleurs à Paganini une de ses premières compositions : les six études pour violon op. 2.
Alard obtient le Premier Prix à l'unanimité et continue ses études au conservatoire de Paris en s'inscrivant en classe de composition avec François-Joseph Fetis, le même professeur que Juan Crisostomos Arriaga : voir article : Arriaga, le Mozart basque du 29 /01/21 https://baskulture.com/article/27-janvier-2021-215me-anniversaire-de-la-naissance-de-juan-crisostomos-arriaga-le-mozart-basque-3662
A partir de 1831, la carrière de Jean-Delphin Alard sera riche et variée puisqu'il se réalise en tant que violoniste soliste, musicien dans des orchestres prestigieux, professeur de violon et compositeur.
Il commence par jouer dans l'Orchestre de la Musique du Roi pour y devenir le premier violon solo, il entre ensuite à l'Orchestre de l'Opéra de Paris et devient également le premier violon de la Chapelle impériale ; il est nommé en 1843 professeur de violon au conservatoire de Paris et aura notamment comme élève le jeune et prometteur Pablo de Sarasate.
En tant que musicien et violoniste, Alard a su allier les qualités reçues de l'héritage de l'Ecole traditionnelle de violon français, aux innovations techniques apportées par Paganini. Le jeu à la fois subtil, raffiné et flamboyant de Alard lui permet de se faire remarquer dans les concerts où il interprète magistralement les concertos de Mozart, Haydn et Beethoven.
Hector Berlioz lui-même, dans ses abondantes critiques musicales, ne ménage pas ses compliments pour le virtuose, vantant par exemple en 1842 « son jeu hardi, éclatant, plein de frémissements passionnés », ou notant en 1844 qu’« il cherche avant tout, bien qu’il possède un mécanisme des plus savants, à faire passer dans l’âme des auditeurs l’ardeur qui semble dévorer la sienne. »
Notre bayonnais fonde également plusieurs groupes de musique de chambre et une société de concerts de quatuors avec lesquels il fait connaître au public parisien les œuvres de musique de chambre de Mozart et Beethoven. Rappelons que Beethoven était décédé en 1827.
Un évènement exceptionnel se déroulera en mars 1848 : Frédéric Chopin qui se rend à Paris pour offrir son ultime récital au public parisien (il décédera en octobre 1849) demande à Jean-Delphin Alard et au violoncelliste Auguste Franchomme d'être ses partenaires dans un trio de Mozart.
Alard épouse Jeanne-Emilie Vuillaume, fille du grand luthier Jean-Baptiste Vuillaume qui lui offrira deux sublimes violons : un Guarneri del Gesù de 1742 et un stradivarius de 1715, tous deux maintenant connus sous le nom d’« Alard ».
En tant que compositeur, il laisse derrière lui pas moins de 156 œuvres, la plupart écrites pour le violon ; nombreuses études, deux concertos pour violon, trois symphonies concertantes pour deux violons et de nombreuses pièces pour violon et piano, pour deux violons ainsi qu'un quatuor à cordes. Il publie également plusieurs ouvrages didactiques de grande valeur et un traité pédagogique du violon en 1844, qui sera immédiatement traduit dans plusieurs langues.
Il n'y a que très peu d'enregistrements des pièces d’Alard ; à ma connaissance, on ne peut que trouver les « Duos brillants » pour violons dont je vous propose ici un extrait : une petite et savoureuse page de musique, parfaitement écrite, que personnellement j'aime beaucoup :
https://www.youtube.com/watch?v=q-SiWiSOBAI
En 1850, à 35 ans, Alard reçoit le diplôme de chevalier de la Légion d'Honneur.
Il y a tout juste dix ans, en 2011, Dominique Hausfater, alors directrice de la médiathèque Hector Berlioz du Conservatoire National de Musique de Paris, retrouve un paquet de partitions manuscrites non référencées, parmi lesquelles se trouve le 3ème concerto pour violon de Jean-Delphin Alard qui, contrairement aux deux premiers, n'avait jamais été édité.
Des recherches ont pu montrer qu'il fut en fait créé en 1861 au Conservatoire même, portant alors le nom de Conservatoire Impérial de Musique. Il fut associé à une Ouverture de Henry-Charles Litolff et au Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn ; le tout joué par l’orchestre de la Société des jeunes artistes du Conservatoire Impérial de Musique et dirigé par Jules Pasdeloup.
Ce Concerto n°3 obtint en son temps les faveurs de la Revue et Gazette musicale de Paris, où il fut qualifié de « chef d’œuvre de mélodie élégante et gracieuse ».
On y souligne également que « le concerto et l’artiste ont reçu en commun des applaudissements unanimes, souvent renouvelés pendant le cours du morceau et prolongés à la fin ».
Il y est enfin mentionné que le compositeur Alard « sait fondre les excentricités de Paganini dans la manière sage et classique de Baillot et de Rodolphe Kreutzer ».
A quand un concerto de violon d'Alard proposé à Bayonne ?
Je souhaite terminer ce portrait en vous informant que je me suis permis d'appeler le service des infrastructures et des espaces publics de la ville de Bayonne il y a quelques jours, afin de leur signaler une erreur d 'orthographe sur le nom « Alard », écrit « Allard » (voir photo) sur les plaques de la rue portant son nom... Il s 'agit d'une ruelle située entre l'avenue des Arènes et la rue de la Légion Tchèque à Bayonne.
J'avais pu auparavant me procurer l'acte de naissance de l'artiste (voir document, page de gauche au n° 87) afin d'être certain de l'orthographe son nom.
La mairie de Bayonne m'a informé que le sujet « changement des plaques Jean-Delphin Alard » sera proposé au prochain conseil municipal du 8 avril, la modification de la plaque de rue étant ainsi rédigée : « rue Jean-Delphin Alard (1815-1888), violoniste ».
https://www.youtube.com/watch?v=2E8PJPv6k20